La dissémination du VIH en Afrique sub-saharienne ne peut pas être expliquée par la transmission sexuelle ou verticale

 

HIV infection in sub-Saharan Africa not explained by sexual or vertical transmission. D Gisselquist, R Rothenberg, J Potteras. Int J STD & AIDS 2002 ; 13 : 657-66. Mots-clés : VIH, SIDA, Afrique sub-saharienne, iatrogène, nosocomial.

De plus en plus d’études viennent contredire la conviction largement répandue que la transmission sexuelle est responsable de plus de 90% des contaminations chez les adultes en Afrique. En effet, les taux variables de séropositivité dans les pays africains ne sont pas corrélés à des comportements sexuels différents. Des études récentes menées conjointement dans diverses villes d’Afrique ayant des prévalences différentes de VIH n’ont pas constaté de comportement sexuel plus risqué dans les villes où la prévalence du VIH était la plus élevée.

L’hypothèse selon laquelle la contamination sexuelle est le principal mode de transmission chez les adultes en Afrique nécessite un taux de transmission sexuelle beaucoup plus élevé dans la population africaine que ce qui a été constaté dans les pays occidentaux. Toutefois, une étude récente effectuée en Ouganda a constaté un taux de transmission hétérosexuelle dans des couples divergents qui était de 0,0011 en moyenne, ce qui est comparable aux taux retrouvés en Amérique du Nord et en Europe. Quatre autres études sur la transmission du VIH dans des couples hétérosexuels discordants qui avaient des rapports non protégés avaient des résultats similaires. De plus, une étude zambienne qui a séquencé le VIH chez les personnes contaminées a constaté que dans au moins 13% des cas, le virus n’était pas le même chez la personne récemment contaminée et chez son partenaire sexuel. Aux USA, le risque moyen d’être contaminé pendant toute sa vie en ayant des rapports hétérosexuels ou bisexuels réguliers avec un partenaire contaminé était estimé à 0,19-0,40 pour la contamination de la femme par l’homme, et de 0,09-0,18 pour la contamination de l’homme par la femme. Pour expliquer l’actuelle épidémie en Afrique, il serait nécessaire que toute personne hétérosexuelle contamine 4,7 personnes.

Les épidémiologistes qui effectuent les calculs en faveur du rôle de la contamination sexuelle du VIH choisissent les données et les paramètres afin de soutenir leur hypothèse. Les données utilisées sont souvent très différentes de ce qui est constaté par les études sur le terrain. Concevoir des modèles montrant qu’il est théoriquement possible que le VIH soit transmis par voie hétérosexuelle, ce qui explique l’épidémie, est une chose, la réalité en est une autre. Par exemple, une étude de Anderson et al estimait que cela impliquait un nombre de 3,4 nouveaux partenaires sexuels tous les ans ; par contre, une étude menée dans 12 pays africains constatait que 74% des hommes et 91% des femmes âgés de 15 à 49 ans n’avaient qu’un seul partenaire sexuel pendant l’année précédente, et que seulement 3,7% des hommes et 0,7% des femmes avaient eu plus de 4 partenaires sexuels. En comparaison, une étude similaire menée à peu près en même temps au Danemark montrait que 19% des adultes de 18 à 59 ans avaient eu plusieurs partenaires sexuels l’année précédente. D’autres études menées en France et en Angleterre avaient des résultats similaires.

Des études ont rapporté des cas de contamination non sexuelle. Au Rwanda, 15 des 25 femmes séropositives dont le partenaire était séronégatif n’avaient jamais eu de relations sexuelles avec un autre homme que ce partenaire. Une étude menée en Tanzanie a retrouvé une prévalence du VIH de 5,6% chez des garçons et de 3,6% chez des filles qui n’avaient jamais eu de rapports sexuels (contre respectivement 4,8% et 12% chez les garçons et les filles qui avaient eu des rapports sexuels).

Une étude menée au Kinshasa en 1985 a constaté que 39% des enfants âgés de 1 à 24 mois et nés de mères séronégatives pour le VIH étaient séropositifs. C’était aussi le cas de 20% des enfants dans une étude rwandaise portant sur des enfants de 1 à 48 mois, de 19% des enfants de moins de 15 ans hospitalisés pour sarcome de Kaposi dans un hôpital ougandais, de 23% des enfants dans une étude au Burkina Faso, de 21% dans une étude en Côte d’Ivoire. Il semble donc que jusqu’à 1/5ème, voire plus, des enfants séropositifs ne le soient pas devenus à cause de la transmission verticale du VIH.

De plus, un certain nombre d’études montrent une prévalence beaucoup plus élevée de séroconversion chez les femmes dans les 2 années qui entourent la naissance d’un enfant. Ce " pic " de séroconversion rappelle le taux de fièvre puerpérale de 6 à 16% constaté par Semmelweis dans les années 1840, avant la mise en œuvre d’une meilleure hygiène. Ce type de contamination semble largement responsable d’un taux élevé de VIH chez les femmes africaines par ailleurs à bas risque de contamination, tout au moins dans certaines régions, et permet de supposer que le suivi médical de la grossesse et de l’accouchement augmente le risque de contamination. Une étude congolaise estimait, en 1987-88, à 5% le risque de contamination par le VIH lié à une interruption de grossesse. Une étude rwandaise en 1989-91 retrouvait un taux de contamination 2,7 fois plus élevé chez les femmes qui avaient accouché en milieu médical par rapport aux femmes ayant accouché seules ou avec une sage-femme traditionnelle locale ; dans cette étude, on pouvait estimer à 34% le risque de contamination lié au milieu médical.

Au moins 15 grandes études africaines ont évalué le risque de contamination lié au fait d’avoir subi au moins une injection, avec une augmentation moyenne du risque de 29%. Six études rapportaient une relation dose-dépendante entre le nombre des injections et le risque de séroconversion. La plupart des contaminations étaient liées à un nombre élevé d’injections. Une étude de 1985 sur des ouvriers rwandais qui avaient eu une maladie sexuellement transmissible (MST) a retrouvé un taux de contamination de 9,7% chez ceux non soignée par injections, et de 27% chez ceux qui avaient été soignés par injections. La même étude a enrôlé des professionnels de santé, et le taux de contamination par le VIH était de 47% chez ceux qui avaient été traités par injections pour une MST et de 24% chez ceux qui n’avaient pas été traités par injections.

De plus en plus d’études permettent de penser que la transmission iatrogène est en bonne partie responsable de l’épidémie actuelle de VIH en Afrique, particulièrement chez les femmes en âge de procréer, de la même façon que les injections dans des conditions déplorables d’hygiène ont été responsable de la dissémination de nombreuses maladies infectieuses. Il est donc déplorable que la plupart des études menées depuis une dizaine d’années ne s’intéressent plus du tout à cet aspect de la question. Heureusement, il semble que, depuis peu, la possibilité d’une transmission iatrogène soit à nouveau prise en compte. De nouvelles interventions sont nécessaires pour lutter contre ce mode de transmission.

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