Discours prononcé devant la chambre des Lords au sujet de l'industrie pharmaceutique.

Earl Baldwin de Bewdley.

 

Messieurs, je remarque avec le plus grand intérêt que notre débat s'est cantonné pour l'instant sur l'aspect financier du problème. Cette fois encore, mon approche sera différente et j'estime devoir vous expliquer brièvement pourquoi.

Comme mon noble et distingué confrère Lord Brightman (dont je partage en grande partie les préoccupations), c'est d'abord et avant tout en tant que patient que je vais m'exprimer. Avec le temps, j'en suis venu à épuiser les ressources de la médecine dite "officielle". Comme bien d'autres malades, c'est poussé par la nécessité de me soigner que je me suis tourné vers les thérapies non-conventionnelles. Et c'est l'expérience qui me fait considérer ces thérapies avec le plus profond respect. Tout naturellement, j'ai été amené à participer pour un temps au Research Council for Complementary Medicine (Commission d'Enquête sur les Médecines Complémentaires), et je suis encore, à l'heure actuelle, président du British Acupuncture Accreditation Board (Conseil Britannique d'Homologation de l'Acupuncture) comme du Parliamentary Group for Alternative and Complementary Medicine (Groupe Parlementaire d'Etude des Médecines Alternatives et Complémentaires).

Très vite, une question m'intrigua et je veux vous faire partager mon étonnement. L'acupuncture, l'homéopathie, l'ostéopathie, les pratiques des guérisseurs, les cures alimentaires, la phytothérapie et la médecine de l'environnement sont extrêmement efficaces. Pourquoi sommes-nous si peu nombreux à en être informés ? Innombrables pourtant sont les enquêtes, (et je vous en ai exposé les résultats lors de précédents débats) démontrant que des millions de gens ont été soulagés par ces thérapies. Il ne s'agit donc pas d'une expérience qui me serait personnelle. Nous voici ainsi au coeur du présent débat.

Comme les précédents orateurs, je reconnais bien volontiers que l'utilisation d'un vaste éventail de médicament a été largement bénéfique pour l'humanité, même si on leur attribue, dans l'éradication des maladies, une importance supérieure à l'épreuve des faits. Je suis cependant profondément convaincu - et je ne suis pas le seul - que l'immense pouvoir financier de l'industrie pharmaceutique déforme considérablement toute notre perception de la médecine. Cette situation est malsaine et entraîne des conséquences diverses et variées. Notre noble pair, Lord Ashley, dont j'ai écouté l'intervention avec le plus grand intérêt, en a évoqué certaines, mais il en existent d'autres, beaucoup plus fondamentales et donc beaucoup plus graves.

Les immenses ressources financières des compagnies pharmaceutiques influencent tous les aspects de la médecine courante. Depuis des années, l'industrie de la pharmacie subventionne les écoles, les journaux et les congrès de médecine. Il n'est pas possible que de tels investissements ne produisent pas de bénéfices, même subtilement indirects. Je ne parle pas de corruption directe et de sinistres complots, non, je veux simplement souligner l'inévitable influence de ces investisssements détournés sur les mentalités et les choix de société. La majorité des membres du Committee on Safety of Medicines (Conseil de Sécurité de la Médecine) a des liens avec l'industrie pharmaceutique. La Medecines Control Agency (Commission de Contrôle des Médicaments) est entièrement subventionnée par les honoraires perçus pour la délivrance de l'autorisation de vente des produits. Quant à la recherche, certains de ses secteurs ne doivent leur existence qu'aux subventions de l'industrie pharmaceutique. La recherche s'oriente alors vers la mise au point de produits vendables : c'est inévitable, car la santé n'est pas la raison d'être de l'industrie. Les recherches de type différent sont simplement éliminées.

L'argent de l'industrie pharmaceutique s'est infiltré dans le Healthwatch (Conseil de Garde de la Santé), institution qui se donne pour but de dénoncer les pratiques médicales inacceptables (inacceptables selon quels critères ? peut-on se demander ). Dans le domaine du SIDA, presque toutes les associations d'aide reçoivent de substantielles donations de la part de l'industrie pharmaceutique, et les malades atteints du SIDA se sont vus presque exclusivement dirigés vers les essais cliniques effectués pour tester l'AZT. Même le All-Party Parliamentary Group on AIDS (Groupe Parlementaire Inter-partis d'Etude sur le Sida) a reçu de la part de l'industrie pharmaceutique une contribution dont le montant s'écrit avec plus de cinq chiffres.

En conséquence, nous sommes exposés aux dangers de ce qui est virtuellement une monoculture. Ne pas avoir conscience de cette monoculture mentale est en soi un danger. Quoi de plus facile, par exemple, que de nous leurrer en adoptant l'idée que seul l'AZT (ou tout autre médicament du même genre) est la bonne approche thérapeutique du SIDA. Nous adoptons une telle croyance, parce qu'il est plus que probable que nous n'ayons même pas été informés de l'existence de solutions différentes. Que surgisse un nouvelle pathologie, et chacun s'empresse de crier : "Vite un médicament !" ou : "Vite un vaccin !" Lorsqu'il ne se fait entendre qu'un seul point de vue, tout programme d'action est automatiquement déformé. Et c'est le pouvoir démesuré d'un des acteurs du programme qui fait retentir partout ce point de vue, à l'exclusion de tout autre.

J'ai eu connaissance de directions de recherche en médecine alternative pleines de promesses : elles ont été étouffées par les subventions qu'une compagnie pharmaceutique accordait au département concerné. Dans un autre domaine de la médecine, le Prix Nobel Linus Pauling a raconté ses difficultés pour faire publier dans les journaux médicaux les résultats de ses recherches sur les effets bénéfiques de la vitamine C. Il n'y a pas un rédacteur en chef qui ne craigne de perdre le budget publicitaire de l'industrie pharmaceutique ! Vitamines et minéraux ne peuvent faire l'objet de brevets commerciaux - pas plus que les aliments d'ailleurs - ce qui explique le désintérêt de la recherche pour ce secteur.

Je peux donner encore un exemple : je connais un scientifique de haut niveau qui, lors d'une controverse, adopta un point de vue entièrement opposé à celui de l'ensemble de la communauté médicale. Un de mes amis lui fit part de son étonnement à le voir ainsi isolé. "Mais non", répondit ce chercheur, "je ne suis pas le seul. Je connais d'autres scientifiques de renom qui partagent tout à fait mon avis. Mais je suis le seul à être libre de toute entrave financière. Aucun de mes collègues n'est en position de parler librement."

Pour évaluer clairement une situation et juger avec discernement, il est crucial d'avoir conscience de la puissance de ces entraves financières. Pas besoin d'être un obsédé de la conspiration pour s'inquiéter sérieusement devant l'ampleur des intérets commerciaux investis dans le secteur de la santé publique.

Voici encore un compte-rendu succinct d'un projet de recherche thérapeutique pour soigner le SIDA publié en 1992. Ce projet fut mis en oeuvre par le Bastyr College of Natural Health Sciences de Seattle, dans l'état de Washington. Ce fut un essai sans double aveugle dont les sujets furent 16 personnes atteintes du SIDA ou de maladies opportunistes afférentes au SIDA. Il s'agissait de tester une méthode d'hygiène générale qui intervenait aussi bien dans le régime alimentaire que dans le mode de vie, en utilisant des compléments alimentaires. La psychothérapie, l'hydrothérapie, les médicaments homéopatique et la phytothérapie complétaient le traitement. Les résultats furent encourageants : aucun patient ne mourut ni ne vit son état s'aggraver et on observa même certaines améliorations cliniques. La médecine conventionnelle exclusivement tournée vers la pharmacie n'a jamais enregistré d'aussi bons résultats. Certes, cet essai ne fut pas effectué selon un protocole de contrôles rigoureux et le petit nombre de patients le rend statistiquement peu significatif. Mais dans le climat de panique actuelle, que se serait-il passé si cet essai avait débouché sur la commercialisation d'un quelconque produit ? N'y aurait-il pas eu au moins une compagnie pharmaceutique pour y investir des fonds ? On a déjà vu poursuivre des recherches sur des bases bien moins prometteuses. Pourtant, à ma connaissance, le Bastyr College est toujours à la recherche du financement nécessaire à la poursuite de la phase 2 des recherches.

Dans le domaine de la cancérologie, j'ai eu connaissance d'un bon nombre de directions de recherches dont les résultats furent bons, voire excellents. Dans un rapport détaillé publié il y a environ deux ans et demi, le US Congress Office of Technology Assessment (Bureau d'Evaluation Technologique du Congres Américain) a enregistré au moins cinq thérapies non conventionnelles : psychothérapie et thérapie comportementale, phytothérapie, diététique, approche biologique et pharmacologique, renforcement immunitaire. Or, à ma connaissance, aucune de ces thérapies ne fait actuellement l'objet d'essais sérieux. La plupart de ces thérapies ne permettent pas de gagner de l'argent. En fait, elles ne font même pas partie du corpus de connaissances qu'envisage la médecine conventionnelle. Dans le domaine des maladies coronariennes, la situation est à peu près semblable.

Le point de vue pharmaceutique exerce une influence plus profondément néfaste. Il existe deux doctrines, dont je crois qu'elles seront un jour considérées comme inutiles, voire même nuisibles. La première doctrine est celle de l'étiologie spécifique, qui prend naissance dans la théorie qui veut qu'une maladie soit provoquée par un agent pathogène extérieur. Cette théorie conduit au mirage de la pilule magique et, incidemment, nous amène à croire à l'hypothèse VIH = SIDA, hypothèse qui, comme l'a fait intelligemment remarquer un critique, n'a pas encore sauvé une seule vie. De toutes façons, les médicaments s'attaquent rarement à la cause même d'une maladie.

La seconde doctrine, fermement enracinée dans l'esprit du praticien conventionnel et si ridicule aux yeux du praticien en médecine naturelle, est la suivante : il n'y a pas de bénéfice sans risque. Ceci nous a conduit, entre autres choses, à accepter comme allant de soi le fait que de 10 à 15% des lits d'hôpitaux soient occupés par des gens qui, en plus des maladies qui les affectaient à l'origine, souffrent des conséquences de leur traitement, presque toujours à cause des médicaments. La domination d'une approche de la médecine basée sur le médicament aide à renforcer ces deux théories.

J'en ai dit assez pour expliquer pourquoi je crois que l'activité de l'industrie pharmaceutique ne sert pas toujours au mieux l'intérêt des malades, mais j'aimerais pousser l'analyse plus loin, au delà de ce que je pourrais appeler les conséquences intrinsèques d'une hyper-concentration de pouvoir dans le champ thérapeutique.

Je parlais l'autre jour à un homme qui a inventé un moyen très efficace de remédier aux migraines. Il s'était mis à rechercher des fonds et reçut la visite d'un cadre supérieur d'une grande entreprise pharmaceutique qui prit l'avion pour venir voir son appareil. Cet homme déclara - et ce, devant témoins, qu'il estimait que cette conception avait un grand avenir en médecine et qu'il allait faire en sorte d'empêcher qu'elle ne soit connue avant cinquante ans. L'histoire ne s'arrête pas là. Quelques temps après, une banque s'offrit à financer la fabrication de l'appareil. Après de longues négociations, l'inventeur allait se résigner à signer un accord assez peu favorable lorsque le directeur de la banque lui passa un coup de téléphone à titre strictement non officiel : il estimait devoir lui avouer que derrière le prêt des investisseurs se cachait la grande compagnie pharmaceutique dont le plan était d'acheter les droits de l'appareil pour mieux en interdire l'existence. Certains discernent un dessein très clair dans de tels évènements. Je ne me prononcerai pas, mais je pourrais citer d'autres exemples.

En conclusion, je dois dire que ce sont les dangers inhérents à la monoculture qui m'inquiètent de plus en plus. Un abus de pouvoir en toute conscience est chose grave et même criminelle. La déformation inconsciente à travers laquelle l'ensemble de la société considère son système médical est bien plus grave, d'autant que, comme je l'ai dit plus haut, la déformation est si profonde qu'elle demeure inconsciente. Sans sortir du système, même si c'est seulement en imagination, je ne crois pas qu'il soit possible d'en comprendre le fonctionnement.

Deux maximes résument assez bien l'ensemble de mes propos et je pense que nous courons un grand danger si nous persistons à les ignorer et à refuser d'appréhender l'ordre réel des choses. Les voici :

"Pouvoir et monopole engendrent corruption".
"Qui paye les musiciens choisit la partition."

* Reproduit dans le N du 28 avril 1993 (P. 364-382) de la revue Hansard.
Traduction (1996) : Françoise LOUIS et François BAUDRY pour Mark Griffiths.


RETOUR Á JOURNALISME RETOUR Á L'INDEX CONTACTS NOS PUBLICATIONS COMMANDES et DONATIONS