La Vérité étant sans limites absolue, inaccessible par aucune voie, quelle qu'elle soit, on ne peut s'en emparer ; aucune organisation ne devrait être créée dans le but de conduire, d'entraîner les gens sur une certaine route.

 

Krishnamurti

 

" Je maintiens que la Vérité est un pays sans routes, et qu'aucune route, aucune religion, aucune secte ne permet de l'atteindre. Voici mon point de vue, auquel j'adhère totalement et inconditionnellement. La Vérité étant sans limites, absolue, inaccessible par aucune voie, quelle qu'elle soit, on ne peut s'en emparer ; aucune organisation ne devrait être créée dans le but de conduire, d'entraîner les gens sur une certaine route. Si vous comprenez cela, vous verrez alors à quel point il est impossible d'organiser une foi. La foi est une affaire strictement individuelle, on ne peut pas, on ne doit pas l'organiser. Sinon, elle devient lettre morte, fossilisée ; elle n'est plus qu'une croyance, une secte, une religion imposée aux individus. La Vérité est rétrécie, elle devient un jouet dans les mains de ceux qui sont faibles, ceux qui sont momentanément insatisfaits. La Vérité ne peut être ramenée vers le bas, c'est aux individus de faire l'effort pour monter jusqu'à elle. On ne peut pas faire descendre le sommet de la montagne dans la vallée. Si vous voulez atteindre le sommet, vous commencez par traverser la vallée, puis vous grimpez sur la pente, sans avoir peur des dangereux précipices. Il faut que vous montiez jusqu'à la Vérité, elle ne peut pas vous être apportée toute prête. Je ne veux appartenir à aucune organisation d'ordre spirituel, je vous en prie, comprenez bien cela. Je répète qu'aucune organisation ne peut mener l'homme à la spiritualité. S'il s'en crée dans cette intention, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage qui estropie l'individu et empêche de grandir, de définir son caractère unique, qui repose dans sa découverte de la Vérité absolue et suprême. C'est pour cette autre raison que j'ai décidé, en étant président de l'Ordre, de le dissoudre. Et cette décision, je l'ai prise seul.

Ce n'est pas un exploit ; c'est que je ne veux absolument pas avoir de disciples. Dès le moment où l’on suit quelqu'un, on cesse de suivre la Vérité. Peu m'importe que vous teniez compte de ce que je dis ou non. J'ai un certain but dans la vie, et je vais m'y consacrer avec une détermination inébranlable. Je ne me préoccupe que d'une seule chose, essentielle à mes yeux : libérer l'homme. Le libérer de toutes les cages, de toutes les peurs et non pas fonder une nouvelle religion, une nouvelle secte, ni échafauder de nouvelles théories, une nouvelle philosophie. Vous allez naturellement me demander pourquoi je parcours le monde, à prononcer sans cesse des discours. Je vous répondrai que ce n'est pas parce que je désire trouver des auditoires, ou attirer auprès de moi un groupe choisi de disciples triés sur le volet. (Les hommes aiment tant être différents des autres, même si ce qui les distingue est ridicule, absurde et trivial : loin de moi l'idée d'encourager cette absurdité...) Je n'ai ni disciples, ni apôtres, que ce soit sur cette terre ou dans le royaume de l'esprit.

Un journaliste, qui m'a interviewé, a trouvé que c'était une action d’éclat que de dissoudre une organisation qui comprend des milliers de ~membres, car, a-t-il dit, "Que ferez-vous à présent? Quelle sera votre vie ? Je n'aurai plus d'auditoire, on ne vous écoutera plus". S'il ne se trouve que cinq personnes à m'écouter, dont le visage sera tourné vers l'éternité, cela sera suffisant.

Je vous l'ai dit, je n'ai qu'un but : libérer l'homme, le pousser vers la liberté, I'aider à refuser toutes les limitations; c'est le seul moyen d'atteindre à la félicité éternelle, à l'expérience mystique du soi.

Parce que je suis libre, détaché, intact - non pas une vérité partielle ni relative, mais la Vérité totale qui est éternelle -, je désire que ceux qui cherchent à me comprendre se libèrent, non pour me suivre, non pour faire de moi une cage qui deviendrait une religion, une secte. Mais qu'ils se libèrent de toutes les craintes : de celles de la religion, du salut, de la spiritualité, de l'amour, de la mort, de la vie même. Un artiste peint un tableau parce qu'il trouve son bonheur dans l'acte de peindre, parce qu'il exprime son soi, sa joie, son bien-être ; j'agis pour les mêmes raisons, et non dans un but intéressé.

Vous étes habitués à vous soumettre à une autorité, ou à l'atmosphère d’autorité qui, croyez-vous, vous conduira à la spiritualité. Vous pensez et vous espérez qu'un autre peut, au moyen de pouvoirs exceptionnels -un miracle - vous transporter dans cet univers de liberté éternelle qu'est la joie. Toute votre conception de l'existence repose sur cette autorité.

Voici trois ans maintenant que vous m'écoutez, sans qu'aucun changement ne se produise, sauf chez quelques-uns. Analysez maintenant ce que je dis, faites fonctionner votre sens critique, afin de pouvoir me comprendre tout à fait, en profondeur. Lorsque vous cherchez une autorité qui vous guide vers la spiritualité, il est inévitable que vous construisiez une organisation autour d'elle ; vous pensez alors que celle-ci sera mieux à même de vous aider, et vous voilà enfermés dans une cage.

Au lieu des anciennes dévotions, vous en adoptez de nouvelles. Tous, vous faites dépendre votre vie spirituelle, votre bonheur, votre illumination, de quelqu'un d'autre, et, bien que vous ayez été préparés depuis dix-huit ans à ma venue, lorsque je vous dis que tout cela est inutile, lorsque je vous dis que vous devez y renoncer et regarder au-dedans de vous-même pour trouver l'illumination, la splendeur, la purification et l'incorruptibilité du soi, aucun d'entre vous n'est prêt à le faire. Il y en aura peut-être quelques-uns, mais peu, très peu…

Alors, pourquoi une organisation ?

" Pourquoi des gens faux et hypocrites me suivraient-ils, moi qui suis la Vérité incarnée ? Je vous en prie, soyez sûrs que je ne veux être ni dur, ni méchant, mais nous sommes parvenus à une telle situation qu'il faut voir les choses en face. Je vous ai dit l'année dernière que je ne me prêterai pas à un compromis. Vous étiez très peu alors à m'avoir écouté. Cette année, j'ai voulu être tout à fait clair. J'ignore combien de milliers de membres de l'Ordre à travers le monde se sont préparés depuis dix-huit ans à ma venue ;, mais à présent ils ne veulent pas écouter en toute confiance ce que je leur dis.

Alors, pourquoi une organisation ?

Mon but, je le répète, est de libérer totalement les hommes, car je maintiens que la seule spiritualité valable, c'est l'incorruptibilité du soi qui est éternel, qui est l'harmonie entre la raison et l'amour. C'est la Vérité absolue, inconditionnelle, qui est la Vie même. Je veux libérer l'homme ; qu'il se réjouisse comme l'oiseau dans le ciel limpide, allégé, indépendant, jouissant dans l'extase de cette liberté. Et moi, je vous dis de vous libérer de toutes vos complications, de vos pesanteurs. Vous n'avez pas besoin pour cela d'une organisation fondée sur une conviction spirituelle. Pourquoi former une structure pour la dizaine de personnes dans le monde qui comprennent, qui luttent, qui ont écarté tout ce qui n'avait pas d'importance ? Quant aux faibles, aucune organisation ne pourra les aider à trouver la Vérité, parce que la Vérité est en chacun ; elle n'est ni loin, ni près, elle est éternellement là.

Les organisations ne peuvent pas vous libérer. Aucun être extérieur à vous ne peut le faire, ni organiser un culte ; votre propre immolation à une cause ne peut pas non plus vous libérer ; ni votre engagement dans une organisation, ni les bonnes œuvres. Vous vous servez d'une machine pour écrire des lettres, mais vous ne la mettez pas sur un autel pour l'adorer. Pourtant c'est ce que vous faites quand une organisation devient votre centre d'intérêt. "Combien a-t-elle de membres?" Voilà la première question que me posent les journalistes. "Combien avez-vous de disciples ? C'est à leur nombre que nous jugerons si ce que vous dites est vrai ou faux." J'ignore le nombre des adhérents, cela ne m'intéresse pas. S'il n'y avait qu'une seule personne qui avait été libérée, cela serait suffisant.

Vous croyez que seuls certains individus détiennent la clé du Royaume à Béatitude. Personne ne la détient, personne n'en a l'autorité. Cette c'est votre moi, et c'est avec le développement de ce moi, sa purification incorruptibilité que se découvre le Royaume de l'Eternité.

Vous verrez ainsi à quel point est absurde toute cette structure que vous avez édifiée, à la recherche d'une aide extérieure et dépendant des autres pour votre bien-être, votre bonheur, votre force. Tout cela, vous ne le trouverez qu'en vous-même.

Alors pourquoi une organisation ?

Vous avez pris l'habitude que l'on vous dise où vous en êtes sur le plan spirituel. Comme c'est puéril ! Qui d'autre que vous-même est à même de juger si vous êtes beau ou laid intérieurement, si vous êtes incorruptibleÊ? Vous ne vous comportez pas en adultes.

Alors, pourquoi une organisation ?

Mais ceux qui cherchent réellement à comprendre, à découvrir les choses éternelles qui n'ont ni commencement ni fin, feront route ensemble avec une plus grande intensité, et mettront en déroute ce qui n'est pas essentiel, les apparences, les ombres. Ils se concentreront, ils se transformeront en flamme, parce qu'ils comprennent. Voilà le groupe que nous devons créer, et tel est mon but. Grâce à une réelle amitié - sentiment que semblez ignorer - chacun apportera sincèrement sa contribution, non pas sous la pression de l'autorité, ni pour rechercher un salut personnel, ni en s’immolant à une cause, mais parce que l'on aura une vraie compréhension, et on sera capable donc de vivre dans l'éternel, ce qui surpasse tout plaisir, tout sacrifice.

Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles, après y avoir réfléchi calmement, soigneusement, pendant deux ans, j'ai pris cette décision. Je n’ai pas cédé à une impulsion momentanée, personne n'a exercé de pression sur moi; dans ce domaine, je ne suis pas sensible aux pressions. Pendant ce temps, j'ai pensé à tout cela, de manière approfondie, et j'ai finalement décidé de dissoudre l'Ordre, dont je me trouve être le président. Libre à vous de fonder une autre organisation, et d'attendre quelqu'un d’autre ; de créer de nouvelles cages, de nouveaux décors pour ces cages. Ma seule préoccupation à présent est de libérer les hommes, totalement, inconditionnellement. "

Extrait de " Krisnamurti — sa vie, son œuvre" de Pupul Jayakar.

© 1986, Èditions l’Age de verseau


RETOUR Á PRƒSENTATION RETOUR Á L'INDEX CONTACTS NOS PUBLICATIONS COMMANDES et DONATIONS