Je devrais être mort depuis des années.
Question: Jamie McHugh, vous êtes danseur, acteur et thérapeute. Vos séminaires se destinent particulièrement aux personnes atteintes par le virus du sida ou par un cancer. Pourquoi? Réponse: D'abord parce que je suis moi-même séropositif, que je connais bien les problèmes liés au sida, et que j'ai donc une raison personnelle de travailler dans ce domaine. Ensuite parce que je crois que beaucoup de personnes affectées par le VIH ou par un cancer peuvent se montrer très réceptives aux thérapies constitutionnelles. Quiconque se voit confronté au diagnostic d'une maladie mortelle sombre, la plupart du temps, dans une crise profonde. Et cela, au lieu de le considérer comme un danger, je le considère comme une chance. Les crises constituent de merveilleux moments de vie pendant lesquels, inconsciemment, nous nous ouvrons enfin. En religion, et dans la mythologie, il est souvent question de "blessures sacrées". Celles-ci symbolisent les périodes durant lesquelles il nous est donné d'aller au-delà de nous-mêmes. Ainsi, selon mon point de vue, une crise est bien quelque chose avec quoi l'on peut travailler et non pas un état émotionnel qu'il nous faut à tout prix calmer. Q: Et vous, vous offrez une possibilité de le faire? R: Dans mes séminaires, j'essaye d'appréhender le problème à travers le corps. Les gens qui sont atteints par le sida ou par le cancer entretiennent souvent une véritable haine à l'endroit de leur propre corps. Ils ont parfois le sentiment d'avoir été trahis par lui. Tout ce qu'ils souhaitent, c'est le punir, voire le quitter. Et moi, je prétends qu'il faut faire exactement le contraire: on doit réinventer son rapport à son corps. Dans notre monde occidental, on a oublié que le corps n'est pas qu'une machine, mais qu'il nous relie à notre âme. C'est cela que j'essaie de transmettre. Voici mon corps: que peut-il m'apporter? En cherchant une réponse à cette question, on reprend contact avec soi-même, et on peut exercer une influence sur sa santé. Q: Pensez-vous que la médecine occidentale n'a, sur cet aspect des choses, qu'une vue très univoque? R: Certainement. Le corps est une entité faite de composantes biologiques, psychiques et sociales. La médecine chinoise, en revanche, parle souvent du corps comme d'un "jardin". C'est à mes yeux une différence énorme. La médecine occidentale voit souvent la maladie comme un mal, comme quelque chose de méchant. Elle nous oblige à partir en guerre contre ce mal, au lieu de nous demander si nous ne pourrions pas, peut-être, vivre avec cette maladie. Par ailleurs, on nous démontre sans cesse que notre santé dépend de facteurs externes tels le médecin, le diagnostic, les médicaments... Nous nous sentons livrés à ces facteurs externes, devenons passifs. Et nous nous abandonnons à nous-mêmes... Q: S'agissant du sida, qu'est-ce cela signifie? R: Je vais vous donner un exemple: C'est l'histoire d'un homme qui va chez son médecin et lui dit: "Un sorcier m'a jeté un sort, je mourrai cette nuit." Le médecin l'examine, ne trouve rien et le renvoie à la maison. Le lendemain matin, l'homme est mort. Cause du décès: empoisonnement à l'adrénaline. Cet homme est mort de la peur qu'il avait de la mort. Il en va exactement ainsi des personnes qui sont atteintes par le sida. Face à un diagnostic VIH positif, nous le considérons comme un arrêt de mort. Nous savons une masse incroyable de choses sur ce qui, médicalement, est alors en train de se passer dans notre corps. Cela crée un stress énorme. Alors, je me demande simplement: Qu'est-ce qui est pire pour notre organisme? L'infection par le VIH, ou bien notre réaction psychique négative? C'est là une question à laquelle la médecine occidentale voue bien trop peu d'attention et de soins... Q: N'empêche que la recherche sur le sida peut se prévaloir de beaux résultats dans le domaine du traitement. Êtes-vous contre un traitement médicamenteux du sida? R: Non. En tout cas, pas absolument. Je n'interdirais jamais à quiconque de prendre des médicaments. Et vraisemblablement viendra pour moi le jour où je devrai me poser sérieusement la question d'un tel traitement. Jusqu'à présent, j'y ai toujours renoncé, parce que je n'y crois pas. Il y a quatorze ans que je suis séropositif. Selon les prévisions des médecins, je devrais être mort depuis longtemps. Pourtant, je vis! C'est tout ce que j'ai à dire. En ce qui me concerne, mes propres méthodes curatives ont eu plus d'effet que je n'osais l'espérer. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit faire comme moi. Ceux qui croient à la médecine occidentale doivent l'utiliser. Seulement, je le dis à ceux qui se trouvent confrontés à un diagnostic de séropositivité: ne vous ruez pas sur les médicaments. Votre corps est plus intelligent que vous ne le pensez. Q: Mais c'est une responsabilité gigantesque que vous prenez là! Disons que quelqu'un renonce à prendre des médicaments et meure? R: Je ne suis pas en train de dire aux gens qu'ils ne doivent pas prendre de médicaments. Je voudrais seulement que, à côté des traitements pharmaceutiques, ils prennent aussi en considération d'autres méthodes, par exemple le travail sur son propre corps. Dans mes séminaires, je ne cherche certainement pas à me profiler comme un surhomme. Chacun est adulte et en mesure de décider pour soi. Et je suis prêt à soutenir toute décision que chacun prend pour soi-même. Q: La plupart des participants à vos cours sont des femmes. Est-ce que les hommes croient moins aux thérapies constitutionnelles, ou bien auraient-ils peur? R: Les femmes ont un rapport beaucoup plus naturel à leur corps; elles sont aussi mieux à même de s'exprimer par le mouvement, par le geste. Là, les hommes éprouvent souvent des difficultés. Même les homosexuels. Bien que mes cours les attirent plus que d'autres, ils sont angoissés. La société soumet les homosexuels à des pressions énormes; ils sont souvent forcés à se cacher derrière une image et à jouer un personnage. De ce fait, ils perdent le contact avec leur moi profond. Et beaucoup craignent un processus de restauration, de remise en cause. Cette crainte s'évapore après quelques minutes de séminaire, mais les participants ne le savent pas à l'avance. Q: Y a-t-il des gens dont vous êtes vraiment sûr qu'ils ont surmonté toutes ces peurs? R: Oh oui! Et je me rappelle de l'exemple d'une dame assez âgée. De toute évidence, il lui avait fallu pas mal de courage pour participer à mon cours. Mais elle était là. Cela avait été un week-end très intense, au cours duquel beaucoup de sentiments avaient pu remonter à la surface. Et à la fin du séminaire, cette dame m'a dit: "Tu sais, Jamie, si j'avais su tout ce qu'on fait ici, je ne serais jamais venue. Mais je suis très contente d'avoir osé. Car malgré tous mes défauts, j'ai ressenti ici tant d'amour et de confiance. Et tout cela, je l'emporte avec moi à la maison. Pour le redonner à mon entourage." J'aimerais bien avoir, à mes séminaires, davantage de gens comme elle... Jamie McHugh, danseur, acteur et thérapeute, est séropositif depuis 14 ans. Il se consacre notamment aux maladies pouvant entraîner la mort. Ses méthodes puisent à des sources telles que le Life-Art Process défini par Anna Halprin, le Body-Mind Centering, le Continuum, la psychologie processive, et la méditation bouddhiste.
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