La mouvance "bio" au service d'associations "bidons"

SANTE - DR0GUES - SOCIÉTÉ, MARS 2001 - N°23.

 

L'avènement d'un virus mortel, en France, au milieu des années 80, a sonné le glas d'une illusoire toute puissance de la médecine. Les caractéristiques sociales de l'épidémie lui ont donné, au-delà de son caractère tragique, une dimension profondément traumatisante pour toute la société.

Dès ses débuts, légitimement, nombre de citoyens se sont interrogés sur la maladie elle-même, son (ses) origine(s), ses caractéristiques. La recherche de bouc émissaires (les homosexuels ? Ies toxicomanes ? Ies médecins ? mais aussi l'armée américaine ? de mystérieux laboratoires "bactériologiques" ?) s'est adossée sur des questionnements auxquels les spécialistes ne pouvaient apporter de réponses satisfaisantes.

Depuis l'arrivée des multi-thérapies, et singulièrement dans le cadre de la dernière conférence internationale sur le sida (juillet 2000, Durban, Afrique du Sud), des discours soi-disant alternatifs au discours scientifique "officiel" ont émergé, d'une part sur l'origine du virus et sa propagation, d'autre part sur les risques liés au traitement.

Publications et colloques "bio" deviennent les relais complaisants d'une myriade d'associations douteuses et de "scientifiques dissidents". Tous développent des campagnes de dénigrement des connaissances acquises sur le sida. Leur apparente diversité révèle - notre enquête le montre - que le tout est scellé par quelques convictions irrationnelles et des idéologies inquiétantes.

Le VIH ne serait pas à l'origine du sida. Il serait une invention à finalité démographique: éliminer une partie de la population. Mais ce n'est pas tout: le génocide par la maladie se doublerait d'un génocide par les traitements. L'industrie pharmaceutique chercherait par tous les moyens à diffuser ses poisons pour engranger toujours plus de bénéfices. Les promoteurs d'un tel discours trouvent de multiples relais sur Internet, parmi les partisans des médecines alternatives.

Face aux discours des associations bidons, les discours rationnels peinent à convaincre, non par défaut d'arguments mais surtout par manque de relais associatifs et politiques. Concrètement, des malades sont trompés, et certains vont jusqu'à interrompre leurs traitements.

La confusion et les dérapages des discours pseudo-altérnatifs tiennent en quelques formules. On confond très souvent la volonté délibérée de tuer des populations et la responsabilité - écrasante - de l'industrie pharmaceutique, des organismes internationaux et des États qui ne mobilisent pas les moyens nécessaires pour enrayer l'épidémie. On confond aussi la diffusion volontaire de poisons et la mise à disposition de traitements à moindre coût dont l'impact médical est aujourd'hui reconnu en-deça des possibilités thérapeutiques, et aux effets secondaires très importants.

Le problème est aussi politique: le discours de diabolisation, par ses outrances, aboutit à occulter I'enjeu réel d'une claire identification des responsabilités des uns et des autres dans la lutte contre l'épidémie.

 

Enquête: la mouvance "bio" au service d'élucubrations idéologiques !

Gilles Alfonsi

 

Relayés par la mouvance "bio", des thèses abracadabrantes et des discours paranoïaques viennent détourner les interrogations légitimes des citoyens, sans que les acteurs de la lutte contre le sida, dont les pouvoirs publics, les contredisent efficacement.

Les associations aux discours irrationnels et abracadabrants sur l'origine du VIH et sur les traitements se portent bien. Du moins trouvent-elles de nombreux supports complaisants, qu'il s'agisse des promoteurs des médecines alternatives ou de plusieurs publications "bio" à grand tirage.

Elles ont été confortées lors de la préparation de la Conférence internationale sur le sida de Durban, le président sud-africain, Thabo Mbeki, ayant cru bon d'organiser une confrontation entre la communauté scientifique dans son ensemble et ceux qui prétendaient la mettre en cause. Ce faisant, il offrit aux prétendus dissidents une tribune inespérée et une légitimité d'apparence. Depuis juillet 2000, on ne compte plus les articles de presse affirmant, au choix, que le sida n'existe pas, que le VIH n'est pas sa cause, que la maladie a pour origine l'annonce de la séropositivité ou encore que les traitements sont des poisons. Dans tous les cas, des complots seraient à l'origine des discours officiels: pour anéantir des populations marginales ou celles des pays en voie de développement, ou pour diffuser, coûte que coûte en vies humaines, des traitements, à des fins mercantiles. Il convient dès lors d'arrêter la consommation des poisons, de "créer un autre état d'esprit" pour en finir avec la maladie (grâce à sa "volonté intérieure" et à quelques savoir-faire bio... passez à la caisse s'il vous plaît). Une revue de détail des affirmations des associations "bidons" permet d'éclairer l'absence de preuves concernant même une seule de leurs affirmations. Comme on l'entend parfois, la preuve qu'il y a complot c'est qu'il n'y a pas de preuve (qu'il y a complot) !

"Le sida n'existe pas et le VIH n'est pas la cause du sida"

Cette thèse est notamment promue par Mark Griffiths. Ancien animateur d'une association intitulée "Alliance", destinée à informer sur toutes les méthodes de santé utilisées par les survivants à long terme du sida (dont il se réclame) et d'autres maladies graves, il est aujourd'hui le président de l'Association Mark Griffiths (AMG) (sic) basée à LA SERPENT, dans l'Aude. Celle-ci a pour objet de "réunir toutes les personnes intéressées par une nouvelle vision de la santé en vue de créer une plate-forme libre d'échange sur les approches globales et pour mieux connaître les causes et les solutions multiples de la maladie en général". L'association se consacre "à la création d'un groupe francophone pour la réévaluation scientifique de l'hypothèse VlH/sida" et, paraît-il à "I'évaluation des véritables causes de l'immunodéficience et ses solutions". Il s'agit ni plus ni moins d'établir qu'il "n'y a aucune preuve de l'existence ni de la causalité d'un virus du sida", ce qui donne ce type de raisonnement obscur: "Depuis 1984, la médecine et la plupart des médias nient l'existence de personnes ayant retrouvé la santé après un diagnostic de "séropositivité", même après un an de sida déclaré". Pourtant les statistiques suisses démontrent que le sida ne représente que 0,9% de la mortalité annuelle et que, depuis 1983, 85% des diagnostiqués séropositifs sont encore en vie. Il y a de forts intérêts économiques qui entretiennent la manipulation de l'opinion publique pour faire croire à une épidémie qui n'a jamais eu lieu". Comprenne qui pourra !

L'AMG est affiliée à un réseau international, HEAL ("Education à la santé en relation avec le sida"), qui soutient que les malades qui reçoivent un diagnostic de sida ne sont pas malades à cause d'une infection par le VIH mais "à cause d'une exposition chronique à une variété de facteurs tels les drogues dites de récréation, les protéines étrangères que l'on trouve dans le sang transfusé ou dans les produits coagulants pour hémophiles, les antibiotiques, les pathogènes intestinaux et vénériens, la malnutrition, la chimiothérapie anti-cancer AZT; les inhibiteurs de protéase et la peur induite par le diagnostic".

L'association promeut un "éminent scientifique" à la retraite (selon ses propres mots "dans un créneau privilégié, la retraite, avant la sénilité, qui me permet de m'exprimer librement"), le Docteur Etienne de Harven. Renseignement pris, celui-ci est "un microscopiste électronicien qui a consacré presque toute sa carrière de recherche à l'étude des rétrovirus associés aux leucémies de souris et qui a suivi avec la plus grande attention l'impact hypothétique que de telles recherches auraient pu avoir dans I'étude des cancers chez l'homme". Mais voilà, Monsieur de Harven, qui noie ses lecteurs dans des articles incompréhensibles, ne semble pas en mesure d'apporter le moindre commencement de début de preuve.

Face à l'influence, notamment politique, des thèses énoncées par les prétendus dissidents, la Conférence de Durban avait adopté une déclaration qui les balayait sur le fond (texte intégral publié dans Combat, n°21, septembre 2000): "(...) le sida se propage par voie infectieuse. (...) L'évidence de la causalité entre VIH-I ou VIH-2 et le sida est nette et sans équivoque. (...) Pour s'attaquer à la maladie, chacun doit comprendre que le VIH est l'ennemi. C'est la recherche, et non les mythes, qui mènera à la mise au point de traitements plus efficaces, moins chers, et espérons-le au vaccin".

"Les tests de sérologie, eux aussi, sont une imposture"

Les tests de sérologie détectent la présence d'anticorps qui prouvent la présence du virus dont la mesure de la charge virale indique, rapidement dit, la puissance. Mais, pour l'Apprenti Sage, bulletin de l'Association Mark Griffiths (AMG); "Normalement, la présence d'anticorps dans le sang circulant est fondamentalement une bonne nouvelle et n'a jamais été, dans toute l'histoire de la virologie, I'indice d'un processus infectieux actif ou pathologique évolutif". Et pour cause: les anticorps sont la preuve d'une réaction de l'organisme à la présence du virus et non la détection directe de celui-ci. La logique est imparable, mais elle conduit à des inepties: "Le sida est la première maladie du monde où des personnes en bonne santé prennent des médicaments avant même d'être malades sous la pression inspirée par la terreur et sur les seuls critères de taux d'analyses non globales." De nombreuses maladies latentes, invisibles ne se révèlent que dans certaines conditions ou après une période d'incubation, ce qui n'empêche nullement de les détecter ou/et qu'elles se propagent.

Complot

Un expert ès complot interplanétaire (de préférence) se nomme Léonard Horowitz, "chercheur diplômé de Harvard et autorité reconnue internationalement en santé publique et dans l'information sur le sida". L'hypothèse de son livre, La guerre des virus (éditions Felix, qui "ne présentent que des livres et des informations qui sortent de l'ordinaire"), est que ces "germes étranges" que sont les virus HIV et Ebola sont des "créations de laboratoires transmis accidentellement ou intentionnellement aux USA et en Afrique par l'intermédiaire de vaccins contaminés contre l'hépatite ou contre la variole".

Très inspiré, il examine donc "les activités de la CIA et les initiatives de politiques étrangères en Afrique centrale en réponse aux prétendues menaces des populations du tiers-monde, du nationalisme noir et du communisme." Problème: les thèses énoncées ici ne peuvent désormais plus surfer sur les lacunes de la recherche scientifique et des analyses historiques, la dernière période ayant permis d'en démonter les hypothèses hasardeuses et les démonstrations imaginaires

"Les traitements: des poisons"

Affirmation redondante, en substance, le sida a pour origine la prise de traitements qui tuent les malades. Ainsi l'Apprenti Sage, publication de l'AMG, explique: "Les traitements utilisés sur les patients sont les plus toxiques jamais mis sur le marché et sont mortels à long terme". Il faut donc interdire les traitements antiviraux. Parmi ces médicaments, l'AZT cristaIise toutes les haines.

Vive le sida !

Finalement, le sida serait une chance. Mark Griffiths: "Le sida m'a donné I'occasion de changer. Je crois que tout ce qui arrive dans la vie est utile, même quand c'est difficile. Je me suis moi-même trouvé confronté à cette "épée de Damoclès" d'être séropositif et d'en avoir les symptômes. L'intuition et la non-acceptation de cette sentence de mort m'ont amené à un éveil profond. C'est ainsi que contester l'hypothèse que le VIH est la cause du sida constitue le premier traitement efficace contre le sida".

En écho à ce discours très direct, différentes thèses d'apparences plus raisonnables trouvent refuge dans les revues bio. Dès 1995, dans l’Impatient, Niro Markoff, animatrice d'ateliers "Oui à la vie" et "Oser en vouloir plus" avec son association Mirka, expliquait: "Je suis persuadée que la majorité des gens meurent parce qu'on leur dit qu'ils vont mourir. (...) Bien que déjà thérapeute et disciple d'un maître spirituel, j'étais restée jusque-là déconnectée de mon âme. Le diagnostic a été un révélateur. Au lieu de donner tout pouvoir à la maladie, j'ai décidé de donner tout pouvoir à la vie. J'ai changé mon alimentation, pris le temps de faire de l'exercice physique tous les jours et de faire chaque geste en pleine conscience. J'ai aussi fait un travail sur moi-même, avec des techniques de visualisation et de méditation. (...) Un an après, je me sentais guérie et j'ai eu l'intuition de faire un nouveau test qui était séronégatif". Et de faire la promotion de ses "ateliers de ressourcement""nous faisons un travail d'écoute de l'être profond, de notre guérisseur intérieur". Et Madame Niro d'ajouter par ailleurs: "Ma propre expérience me permet d'affirmer sans le moindre doute que l'auto-guérison est le résultat direct de cette approche multisensorielle de la vie. Cette nouvelle approche ne se limite pas à nos cinq sens. Elle élargit jusqu'à l'intuition et inclut notre relation à Dieu, ou à une Puissance Supérieure, ou au Divin, quel que soit le nom qu'on lui donne." Il s'agit donc de "changer nos inconscients collectifs" en nous "aidant à nous tourner vers l'énergie de notre âme".

Dans un registre différent, d'autres associations sur-valorisent la dimension spirituelle, qu'elles aillent ou non jusqu'à nier l'existence du virus. Parsifal est l'une d'entre elles. Créée en 1991, elle a pour objet "I'influence du psychisme sur la guérison ou la lutte contre l'apparition des maladies; le moral au secours de l'immunité". Dans Séropôte, son bulletin, on trouve ce type de discours: "La logique propre au savoir médical a construit ainsi peu à peu un discours savant qui depuis dix ans se présente comme la Vérité scientifique. Le sida - prétend cette vérité - est un ensemble de maladies provoquérs par la présence d'un virus (...). Le virus se multiplierait et détruirait ces cellules, détruisant ainsi les défenses immunitaires. (...) Dès lors, I'équation est faite: avec un délai plus ou moins déterminé tout séropositif verrait son système immunitaire atteint, et puis s'éteindre. (...) Il en résulte que ceux qui l'écoutent, cette histoire, et s'y identifient, ne peuvent plus sortir du sortilège qu'elle induit. (...) à Parfisal, (...) on ne veut pas entendre une histoire racontée par d'autres, dont les aventures ne coïncident en rien avec celles de qui les écoute".

La maladie devient, pour Parsifal, un mal "médiatiquement transmissible", et il faut opposer à l'équation VIH = sida l'équation sida = stress, le HIV ne devenant qu'un "prétexte nécessaire mais non suffisant pour le déclenchement de la maladie". Curieux regard d'une association sur ce qu'est l'annonce de la séropositivité, dans le cadre du colloque singulier entre le médecin et son patient, dont tout accompagnant souhaite qu'il ne soit précisément pas une sentence (mortelle). Par ailleurs, n'est-il pas surprenant que de tels raisonnements puissent perdurer alors que l'annonce de la séropositivité relève moins que jamais de l'annonce d'une mort prochaine ?

Idéologie

Derrière cette diatribe, une visée idéologique se découvre peu à peu. Elle a plusieurs dimensions: une affirmation redondante de la dissidence, qui débouche sur I'absence d'une quelconque volonté de convaincre avec des arguments; une vision paranoïaque des relations entre les citoyens et les institutions, avec une diabolisation non seulement des scientifiques mais aussi des Etats et des contre-pouvoirs traditionnels; la promotion de moyens "naturels" et de substances non reconnues pour faire face au sida ou à la maladie, car "se contenter de discuter n'a pas de sens", il faut "mettre fin au génocide sida". Sur ce point, sur le site Sidasanté, une "charte pour le libre choix thérapeutique des personnes diagnostiquées séropositives" propose à chacun de demander "le droit de nous soigner librement par les médecines dites complémentaires, sans perdre I'aide de l'Etat; que les médecines alternatives soient reconnues en France au même titre que l'allopathie et remboursées par la sécurité sociale; I'accès à des psychothérapies de notre choix et des cures de santé à titre de prévention, avant d'être malades, exemptes de toute pression médicamenteuse". Les contribuables devraient donc financer tout ce que notre société compte de gourous plus ou moins sympathiques.

Au-delà des enjeux économiques ici clairement apparents, une vision du monde est promue par les "dissidents": "Différents facteurs peuvent être à I'origine de l'état d'immuno-dépression: dans nos pays CIVILISES [nous soulignons]: drogues légales et illégales, toxémie et carences, déséquilibre alimentaire, stress, manque d'exercice, peur... pour les hémophiles: transfusions à répétition par des produits non purifiés chargés de tas de protéines étrangères, produits anti-coagulants, stress et peur causés par la condamnation du diagnostic. En Afrique, les Africains souffrent des maladies dont ils ont toujours souffert aggravées par des campagnes de vaccinations sur des populations souffrant déjà d'énormes carences dues à la malnutrition. De plus, de par leur culture, la peur du fléau qu'ils nomment là-bas "la maladie", les maintient dans la terreur d'autant plus qu'ils pensent être condamnés à ne pas avoir accès aux traitements classiques beaucoup trop coûteux pour eux". (texte de Mark Griffiths, mars 2000).

Les citoyens "CIVILISES" de nos contrées devraient donc cesser la consommation de drogues licites (médicaments) et illicites (stupéfiants): bel appel à la morale, que l'on retrouve bien souvent dans les discours des prétendus dissidents. Ainsi, dans une lettre adressée à l'ancien président de Chrétiens et sida, "Patrick Banuls, chercheur" explique concernant ce qu'il nomme la "réalité sidaïque": "En plus d'être ce qu'il est dans les corps humains affaiblis, le sida est d'après moi une tumeur sociale et mondiale. Cette tumeur a pris naissance et se développe dans un corps social et mondial malsain. (...) ma conviction est que le sida officiel - celui de la vision officielle de l'ESTABLISHEMENT [nous soulignons] sur la maladie - alimente le système (...) à l'origine de l'état lamentable de notre planète et de l'humanité".

Prétendant sans doute livrer une analyse de la rhétorique des discours classiques sur le sida, I'auteur entend démontrer que le paradigme médical est surtout un paradigme de guerre, qui "donne l'impression de vivre", faisant référence aux "attaques du corps par des gens extérieurs", à la "défense par des armes médicales", à l'"analyse de terrain biologique", aux "bombardements radiologiques"... La solution ? Suivre le chemin: "La cause et la nature de l'homme sont d'essence divine ! Le cap à suivre se lit sur le compas divin [?!]. Pour avancer vers notre digne destinée d'homme, appuyons-nous sur ce qui va bien". Et l'auteur de citer le philosophe Roger Garaudy - aujourd'hui auteur d'ouvrages négationnistes -, pour qui "la transformation du christianisme en religion d'Etat parvint à le détruire", ce qui appelle à rechercher la vérité "hors des sentiers battus".

L'ombre et la lumière

La philosophie proposée au citoyen en quête d'ésotérisme reprend cette thèse: dans Vérités Santé Pratiques (juillet 2000), Michel Dogna explique en Une: "Le Tao nous enseigne que rien ne peut exister sans son contraire. Ainsi, le bien n'a plus aucun sens sans I'existence du mal, pas plus que le beau sans le laid, ni le chaud sans le froid [on n'explique pas, ici, si le chaud est bien ou mal !], la Iumière sans l'obscurité. (...) Chacun fait son choix et endosse l'acteur qui lui convient en fonction de la MATURATION DE SON AME. [Nous soulignons] (...) La vie est un grand théâtre où chacun doit jouer son rôle. Il y a des rôles ingrats mais ils doivent être assumés par certains pour que l'histoire puisse se faire. Sans JR, Dallas n'a plus aucun intérêt. Sans Judas, I'histoire de Jésus serait tombée à plat. Faut-il haïr JR ? Faut-il haïr Judas ? Moi, je les admire parce qu'ils ont accepté un rôle difficile et peu sympathique bien que nécessaire." L'éditorialiste n'a pas pensé à Staline, ni à Hitler, mais chacun peut y songer... Et de poursuivre logiquement: "Tout ceci amène à une grande tolérance vis-à-vis de l'existence des hommes et des systèmes qui entravent nos libertés et notre qualité de vie. Souvent, ceux qui cherchent à vous nuire vous rendent davantage service, à long terme, que ceux qui vous aident, parce qu'ils vous obligent à vous surpasser et donc à progresser et à grandir". La belle leçon de tolérance !

Aujourd'hui contre les traitements, demain contre le vaccin

Des partisans du défunt Professeur Beljanski - inventeur de traitements destinés à soigner aussi bien le cancer que le sida - à l'AMG, de Biocontact à l'lmpatient, la nébuleuse s'est installée dans l'espace public. Elle reste encore marginale tant son déficit de crédibilité apparaît dès lors qu'on s'attache au sens. Elle crée cependant un climat préjudiciable à la prise de conscience des enjeux de santé publique authentiques, sans instrumentalisation. L'entreprise idéologique risque de porter, demain, sur le vaccin contre le sida.

Dans Biocontact, Pierre Andrillon concluait ainsi: "Hélas pour l'Afrique, la vaccination, en affaiblissant les défenses immunitaires, serait la voie royale ouverte au sida. Les actionnaires se frottent déjà les mains". Un autre disciple des "solutions alternatives", Marc Deru explique: "C'est une erreur fondamentale de croire la guérison du sida en Afrique axée sur des traitements antiviraux. Ces traitements seraient un désastre supplémentaire car ils ruineraient davantage encore le système immunitaire de ces malades. Leur immuno-déficience, en effet, provient tout simplement des carences, infections et parasites, ainsi que des guerres civiles et des funestes conséquences de la mondialisation et des plans d'ajustement structurels imposés par le FMI qui les ont réduits à la misère." En substance: ils n'ont qu'à rester chez eux et surtout, ne créons pas les conditions pour le développement économique et l'accès aux soins des populations des pays en voie de développement. Derrière la rhétorique antilibérale, c'est là une bien curieuse conception de la solidarité internationale !

Dès 1998, ce type de raisonnement amenait à expliquer le slogan de la conférence internationale "Franchir le fossé" (entre pays riches et pays pauvres) ainsi: "Le titre de cette conférence avait pour but de créer de nouveaux marchés dans le tiers monde subventionnés par l'argent des contribuables en occident, pour palier la réduction du marché occidental qui flanche en résonance avec la découverte par de plus en plus de gens de l'escroquerie du sida". Consternante affirmation et déni de la réalité puisque le nombre de personnes suivies n'a cessé de croître au contraire, dans les pays du Nord, tandis que les malades des pays en voie de développement continuent de ne pas accéder aux traitements.

Puisse la mouvance "bio" cesser de se faire le relais privilégié de dérapages coûteux en vies humaines.

Retour sur le cas Mirko Beljanski

Gilles Alfonsi

Le professeur Beljanski fut l'un des promoteurs de traitements "alternatifs", contre le cancer puis contre le sida.

Selon la direction de l'Institut Pasteur, " le travail de Mirko Beljanski avait abouti, dès le début des années 70, "à une impasse totale". Le prix Nobel Jacques Monod lui avait conseillé de concentrer son travail sur un sujet "précis et bien défini pour obtenir des résultats qui pourraient être repris et vérifiés par d'autres". Il n'en fut pas ainsi et, quelques années plus tard (en 1978), Beljanski fut exclu de l'Institut Pasteur. Il fonda le Centre de Recherche Biologique (CERBIOL) et le Centre Oncologique et Biologique de Recherche Appliquée (COBRA, sic !), d'où il organisa la promotion de substances de sa composition, à travers un fervent réseau de médecins et de pharmaciens très motivés.

Des polémiques se développèrent: aux plaintes de malades - fortement sollicités financièrement pour obtenir les traitements miraculeux - répondaient des pétitions de ses partisans, réclamant la reconnaissance de ces traitements. Mais voilà, Mirko Beljanski n'a jamais joué le jeu des démarches de validation scientifique, très rigoureuses, en vue d'une autorisation de mise sur le marché.

Beljanski écrivit à des experts du ministère de la Santé: "Vous m'avez reproché de ne pas vous avoir communiqué les noms exacts des substances utilisées, ni les dossiers de toxicologie. Dans l'état de nos relations, en l'absence de toute garantie de non faite, de toute garantie d'intérêt réel porté à ce travail, il est bien évident qu'il ne pouvait en être autrement". Quant à Jean-Paul Lévy, directeur de l'Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS), il écrivit au Président de COBRA: "Je ne puis bien sûr entériner les affirmations (...) concernant l'efficacité des substances biologiques [promues par Monsieur Beljanski]. À ma connaissance leur efficacité ne peut pas être considérée comme "largement prouvée" précisément dans la mesure où l'expertise scientifique reste à faire.

Bien évidemment cependant si vous possédez des informations que j'ignore, elles devront figurer dans le dossier scientifique (...)". Il n'en fut rien.

Pendant ce temps, des malades s'en remettaient aux produits Beljanski, jusqu'à susciter de grandes inquiétudes parmi les médecins, parmi lesquels le professeur Rozenbaum, qui, par exemple, écrivit: "(...) j'ai la preuve que les allégations de Monsieur Beljanski sont totalement mensongères puisque plusieurs de mes patients sont décédés après avoir pris ces traitements, et pour certains d'entre eux de manière totalement injustifiée. Un dossier a effectivement été déposé pour ces soi-disant produits au ministère de la Santé, et ce dossier est vide de toutes informations qui permettent d'accorder le moindre crédit à ce traitement (...)". Mirko Beljanski trouva cependant un soutien: celui de l'extrême droite, National Hebdo en tête, qui trouvait l'occasion de dénoncer les "lobbies médicaux" et l"'establishment".

L'abracadabrante thèse de la maladie imaginaire.

Le sida n'existe pas et les traitements sont des poisons : des " preuves " en veux-tu-en-voilà.

Vincent Biringer

"Des romantiques aveugles continuent de croire que le VIH est la cause du Sida, mais si le VIH n'a jamais été isolé, qu'est-ce que le Sida ?" ou "Le "sida" est 100% mortel ? Balivernes ! L'épidémie n'a jamais eu lieu et des milliers de personnes de par le monde ont retrouvés la santé après ce diagnostic." Ces phrases d'introduction de pages web sont extraites du site de l'Association Mark Griffiths (AMG), Sidasanté. Comment s'étonner qu'elles puissent être vécues comme une insulte à tous ceux qui ont connu la douleur de perdre un être proche à cause du sida ?

Ce site rassemble une somme impressionnante de ce qu'on peut trouver d'idées ambigues et d'affirmations gratuites sur la question. Elles nourrissent - ou sont nourries par - des publications dans la mouvance des méthodes alternatives de santé - bio, végétarianisme, hygiénisme - et même de cette chose extraordinaire qu'est la pansémiotique.

Ces thèses sont issues de "scientifiques dissidents" tels que le Professeur Peter Duesberg, ex-chercheur d'une université californienne, entre autres. Elles sont reprises par des magazines comme Santé Globale, Vous-et-votre-santé ou BioContact, un mensuel gratuit (diffusé à plus de 100 000 exemplaires) que l'on trouve dans les magasins bio, qui nous apprennent que les vaccins sont de "véritables soupes purulentes" pleines de "cellules cancérisées".

Le VIH n'aurait jamais été isolé, et donc le sida n'existerait pas s'il était dû à ce virus. Le fait que "personne ne meurt du sida", mais qu'on meurt de maladies opportunistes corroborerait cette hypothèse. Le syndrome d'immunodéficience serait en fait le résultat de la consommation de drogues, de la malnutrition et de la pauvreté et, surtout, le résultat d'un stress. Le principe est simple: selon les dissidents, tous les virus coexistent avec l'homme et sont inactifs, celui de la grippe comme celui du sida. En cas de stress, l'immunité chute et le corps ne peut plus lutter normalement contre le virus: on tombe malade. Conclusion: il suffirait de supprimer le stress pour supprimer toutes les maladies du monde.

Si les médecins n'y pensent pas, apprend-on en lisant les écrits de l'AMG, c'est tout simplement parce que les laboratoires pharmaceutiques veulent faire de l'argent. Ils vont donc jusqu'à créer la maladie ! Sur ce registre, Richard Sunder va très loin: " le virus du sida a été fabriqué de toutes pièces, à partir d'un patchwork d'A.D.N. de provenances diverses (la carte du prétendu virus en une seule pièce n'existe pas), par Montagnier et par Gallo, qui a trafiqué les échantillons de Montagnier. " Et si l'on a découvert le virus sur un zaïrois mort en 1956, cela prouve en fait que le virus existait avant même d'avoir été fabriqué (sic !). Les contradictions sont nombreuses: le virus était bien inactif à cette époque puisque personne ne mourait du sida, mais "les décès par déficience immunitaire au sein des groupes à risques - homosexuels, drogués, prostitués mâles et femelles - ne sont pas une nouveauté. (...) On n'en parlait simplement pas."

Le professeur Willner, dans son livre " L'escroquerie du sida - L'ultime supercherie " précise qu'on a mêlé le sida au sexe aux seules fins de vendre, d'effrayer le public, pour le ramener aux valeurs familiales traditionnelles du sexe dans le mariage, de détourner l'attention des drogues immuno-suppressives illégales et priver la "guerre contre les drogues" de son arme la plus puissante: informer le monde que ce ne sont pas les seringues mais les drogues qui provoquent le sida.

La confusion est grande: soit on considère que le virus existait, qu'il était inactif et qu'on l'a activé ; soit qu'il a été inventé à des fins mercantiles; soit qu'il n'existe pas du tout, soit qu'il n'est pas ce qu'on dit, qu'il ne se transmet pas au cours de relations sexuelles, ni par le sang. Quoi qu'il en soit, on ne meurt pas du sida et il n'y a pas d'épidémie.

Dans ce contexte, les traitements ne sont pas laissés à l'écart des préoccupations des dissidents. Documents d'aspects scientifiques émanant de l'Association Mark Griffiths et affirmations péremptoires des hygiénistes et pansémiologues, les discours abondent dans le même sens: le monde serait soumis à un génocide thérapeutique organisé par les autorités américaines en association avec les fabricants de médicaments. Le professeur Duesberg l'affirme en ces termes: "Les médicaments employés dans le traitement du SlDA sont les causes établies d'immunodéficience. L'AZT tue aussi bien les cellules saines que les cellules malsaines. L'AZT est inutile si ce n'est pour commettre des meurtres légaux."

Les traitements, et en particulier l'AZT seraient de véritables poisons... qui donneraient le sida en empêchant la multiplication cellulaire des lymphocytes et en provocant ainsi une chute brutale de l'immunité ! Pourquoi 1'AZT fait-elle l'objet de si nombreuses attaques, depuis des années, de la part des associations alternatives, à l'image de l'association Positifs ou du défunt Professeur Beljansky ? C'est que l'AZT fut longtemps le seul traitement disponible contre le sida, avec des effets secondaires problématiques.

Cependant, les inhibiteurs de protéase sont également passés au crible. La théorie se base sur le constat de la toxicité de toutes ces substances. Le tout est étayé par des démonstrations confuses et chargées, pour en renforcer la crédibilité, de notions et de termes médicaux très compliqués, de références à des résultats d'études inaccessibles... Or, tout le monde - et en particulier les malades eux-mêmes - sait que tout médicament comporte des effets secondaires. Et, aujourd'hui, les génotypes du virus permettent même d'en évaluer les effets et d'identifier l'apparition de résistances, pour une meilleure gestion à la fois des médicaments et des dosages prescrits.

Pour Richard Sunder, la "Société Standardisée" engendre un "Sida Social"... Ie lien est fait avec les SS... rien de moins !

En tuant des populations importantes, les laboratoires feraient de l'argent et l'administration américaine pourrait réguler la population du monde, se débarrasser des marginaux et des Africains. On omet simplement que les morts ne consomment plus de médicaments, et que l'intérêt des laboratoires, dans un raisonnement théorique radicalement cynique, est en l'occurrence plutôt de maintenir les gens en vie.

Les tests de séropositivité seraient aussi bidons: Richard Sunder, l'Association Mark Griffiths et tout le réseau américain Rethinking Aids, nous apprennent qu'ils ne sont là que pour créer de toute pièce des pseudo-malades... malades imaginaires qui le deviennent réellement lorsqu'on leur annonce la maladie.

On retrouve aussi des thèses abracadabrantes sur le site de Richard Sunder, pansémiologue, pour qui tout est signe et tout est sens jusqu'au comble de l'absurde, et sur des sites d'origine inconnue - sites "personnels" mais forts bien conçus -, par exemple "Relaxation-Santé-Recherche médicale". Les uns et les autres font grand écho à la controverse qui a vu le Président sud-africain, Thabo Mbeki, prendre parti pour les dissidents, au cours de la préparation de la conférence de Durban de juillet 2000.

La confusion atteint son comble avec le discours paranoïaque du pansémiologue Richard Sunder, où se mêlent des associations d'idées sur la mondialisation et le "sida social" qui rongerait le monde: on essaierait de "mettre au pas l'oie de la Société Standardisée" - le lien est fait avec les SS et la période nazie. Le sida, "première maladie virtuelle de l'histoire", serait un instrument de cette manipulation idéologique. Richard Sunder écrit: "Grâce au sida, (...) I'homme sait enfin qu'il est indissolublement lié à l'immensité spatiale et spirituelle de l'Esprit - I'intelligence cosmique - qu'il conduit autant qu'il est conduit par lui, parce que les idées et la matière ont simultanément constitué le monde, où elles ont simultanément émergé, sous la forme du langage, par le hasard absolu de l'lnfini absolument relatif à la nécessité absolue du Zéro.

Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part, parce qu'ils sont I'un et l'autre écrits partout. Il est absolument libre de choisir entre le Royaume et les ténèbres parce qu'il y est absolument contraint et qu'il n'y est contraint que par le langage, c'est-à-dire par sa propre loi, qui fait qu'il est absolument libre, parce que, si inconscient qu'il en soit, il n'y a pas de loi autre que la sienne qui le mette au pas de l'oie." Ce qui s'appelle un charabia incompréhensible.

La revue internationale Nature rappelle que "les scientifiques sont pleinement au courant des arguments des opposants: ils les ont étudiés, et n'ont rien trouvé jusqu'ici qui mérite qu'on s'y attarde. Les opposants, en revanche, se sont rarement montrés intéressés à soumettre leurs idées aux mêmes règles d'analyse critique (que celles des scientifiques)." Tel est bien le problème auquel sont confrontés tous ceux qui s'inquiètent de la profusion des discours démagogiques et dangereux sur le thème du sida: ils n'ont pas en face d'eux des partisans d'une confrontation d'idées - sans concession mais constructive - mais des forces occultes qui ne révèlent pas leurs véritables intentions.

Les dessous de l’empereur

Hubert Lisandre

Bien des thèses "bidonnantes" auxquelles le sida a donné lieu adoptent un ton courroucé qui mérite d'être interrogé pour lui-même, au-delà de leur contenu.

."Préparez-vous à lire ce qui peut paraître incroyable.[...] Le virus d'immuno-déficience humaine est un mythe. [...] Un homicide de masse est en train d'être commis par une poignée de scientifiques qui ont consciemment et intentionnellement dévoyé des milliers de collègues confiants vers un carnage qui pourrait bien être sans précédent dans l'Histoire. [...] Armé de la raison, de faits irréfutables et d'un dévouement généreux et inébranlable à la vérité et à l'humanité, le Dr Peter Duesberg a dévoilé cette tromperie monstrueuse."

Ainsi commence par exemple L'ultime supercherie, monographie de 80 pages rédigée en 1992 par Robert E. Willner, "le récit objectif et documenté de la supercherie scientifique la plus horrible et la plus meurtrière de l'Histoire". Il accumule ensuite les arguments pour démontrer que le VIH ne se transmet pas sexuellement, et qu'il n'est pas la cause du sida, lequel n'est d'ailleurs pas une maladie.

Arguments scientifiques, puisque le caractère radicalement nouveau et "mystérieux" du VIH tiendrait surtout à son inconsistance conceptuelle, étayée notamment par le fait qu'on n'a jamais pu saisir le VIH en train de détruire une cellule. Arguments politiques, puisque tout cela ne serait qu'une machination du "complexe médico-industriel" - cette "conspiration de l'arrogance, de l'ignorance et de la cupidité" - sous la houlette du redoutable Dr Robert Gallo et de ses complices haut placés. Arguments méthodologiques, enfin, dénonçant les nombreuses négligences dont on se serait accommodé pour élever "au rang de "fait" ("prouvé et connu comme étant vrai") une simple "hypothèse" ("supposition ou estimation") - qui, selon l'auteur, on s'en doute, ne résiste guère à l'examen: c'est aux drogues, quant à lui, qu'il fait jouer le rôle dévolu par Gallo au VIH.

Sans doute l'auteur espère-t-il que le lecteur, ainsi mis en appétit, s'apprête à dévorer l'ouvrage pour y exercer ce qu'il appelle sa raison. Ne doutons pas que cet exercice a déjà eu lieu, et qu'il a produit ses adeptes et ses (probablement beaucoup plus nombreux) détracteurs. Laissons pour une fois les scientifiques, à la place desquels nous aimons tant nous imaginer, faire bien ou mal leur travail, et considérons plutôt la place où nous sommes mis, en parcourant ce genre de littérature.

C'est une place devenue familière, qu'illustre bien le conte d'Andersen "Les habits neufs de l'empereur" (d'ailleurs évoqué dans ce texte), et qui pourrait valoir pour une sorte de mythe moderne. L'enfant naïf, naturellement épris de vérité - tel le vénérable "Dr Peter Duesberg" ? - dit soudain tout haut ce que d'autres savent, pensent tout bas, mais se gardent bien de dire, pour des motifs tenant à leur position sociale - en l'occurrence, que le roi est nu.

Le "cri d'indignation" auquel nous convie l'auteur tend en effet à devenir un mode d'expression courant, dont le sida a constitué une récente pépinière. Depuis quelques années déjà, nous dénudons les rois avec une frénésie croissante, dont il n'est pas si sûr que la vérité soit précisément l'enjeu. Le mythe n'est en effet qu'un arrangement poétique de ce qui est innommable, mais réel. Et quiconque a déjà observé un enfant réel révéler devant une famille réelle un secret de Polichinelle bien gardé pourra mesurer combien le mythe enjolive ladite réalité.

Le cri d'indignation repose sur - au moins - trois postulats audacieux: d'abord, que la vérité serait la même pour tous; ensuite, qu'elle serait le fruit d'une méthode universelle; enfin, que l'opinion commune, à qui ce cri s'adresse, serait guidée par la raison.

Rien n'indique, dans les faits, que la vérité serait la même pour tous. Il s'agit là plutôt d'un souhait, d'une aspiration commune, et peut-être bien, pour finir, d'un mensonge commun à tous. Dans le conte, tout le monde s'entend surtout sur un mensonge, qui est seul à confirmer et reconnaître les positions sociales de chacun, et c'est par un artifice proprement mythique que l'enfant est supposé triompher de cette aliénation. Qui connaît ses saints les honore, et c'est par construction que les saints disent la vérité - par construction, plus que par expérience. L'ardeur avec laquelle l'humanité s'entretue depuis ses origines civilisées, au nom de "vérités" toujours plus performantes dans l'art du bonheur d'être ensemble, pourrait nous interroger là-dessus.

L'histoire des sciences, ainsi que I'expérience la plus courante, ne cessent de confirmer que la vérité surgit par surprise, sans méthode préétablie, et toujours contre l'opinion commune. Archimède dans sa baignoire, Newton sous son pommier, et moi-même pris au piège de mon lapsus, la vérité nous saisit à la gorge, et ne s'impose que si nous voulons la connaître, c'est-à-dire si nous renonçons, un moment, à croire que nous savions déjà. On peut sans doute accélérer le mouvement avec des méthodes, de la rigueur, et du désir de savoir. Mais on n'empêchera jamais que la vérité détrône par surprise une vérité précédente, devenue caduque, ou révélée dans son illusion. En cela, elle ne peut naître que dans la subversion, et jamais d'une tradition - fût-elle méthodologique. N'en déplaise aux académies, qui n'ont jamais rien découvert.

Quant à cette fameuse raison, nous ne savons que trop, depuis les Lumières, que l'homme en est doué. Dont acte. Descartes, plus modeste, s'en tenait au sens. Et avant lui Rabelais, plus sage encore, trouvait son essence dans le rire, c'est-à-dire dans l'affect. Que l'homme soit doué de raison, cela implique-t-il qu'il brûle de s'en servir ? Sans technique, disait le poete, un don n'est rien qu'une sale manie. Nous avons pris coutume d'intituler "raison" un dépotoir de logiques figées et bonnes à noyer toutes les surprises de l'expérience sous les idéologies en vigueur - c'est-à-dire l'inverse exact de la raison, celle qui concentre ses pauvres forces à déconstruire l'opacité angoissante du réel, sans se contenter de l'habiller selon la mode.

L'opinion n'est nullement guidée par la raison, mais par l'affect. Sinon, serait-il nécessaire de crier, de s'empourprer d'indignation, et d'utiliser tous ces superlatifs injurieux pour démontrer ce qui devrait si naturellement tomber sous le sens commun ? Nos enthousiasmes modernes sur la "communication" disent ici tout haut ce que nous savons tout bas: I'opinion se fait sur la forme, en tenant le fond à bonne distance. De l'objet, elle ne supporte que l'ombre, et se complaît dans sa caverne, où les vaches sont si bien gardées. Peu importe qu'elles y deviennent folles.

Que cache alors le cri d'indignation, en mimant la sereine lucidité de l'enfant du conte, qui fait miroiter les promesses d'une vérité unique et reconnue par tous ? Qu'est-ce qui donne envie d'y croire, sinon l'horrible évidence inverse, d'une certaine incompatibilité entre vérité, raison, et lien social ? Le poète, le même d'ailleurs, disait qu'à plus de quatre, on est une bande de cons. Il ne s'est pas fait que des amis.

Tous ces cris qui dénoncent la nudité du roi portent ainsi en eux une ambiguïté de structure. Ils masquent derrière une apparente rationalité le ressort affectif qui seul leur donnera un éventuel crédit. Que l'auteur du cri en soit dupe ou non, qu'il crie par innocence outragée ou par froid calcul politique, il n'attaque finalement jamais le problème à sa racine, en préservant toujours, par sa démarche même, I'illusion qui voudrait que la raison éclaire la passion, et qu'il y ait toujours une rationalité pour fonder une croyance, alors que tout démontre l'inverse. De ce point de vue, le cri ne dit jamais la vérité: il cherche seulement à détourner l'imposture à son profit exclusif.

Ainsi, quelles que soient ses intentions, Robert E. Willner ne contribue peut-être pas à promouvoir cette vérité qu'il dit servir, en interpellant l'opinion. Il y révèle plutôt la situation pathétique du scientifique moderne, écartelé entre sa carrière et son désir de savoir, comme le fut de tout temps l'artiste. Nouvelle danseuse de la démocratie, il avoue son impuissance à lui fournir à la fois le beurre et l'argent du beurre, et livre ici les quelques lignes qui m'ont paru, de tout ce texte, les moins suspectes: " A cause de notre responsabilité et de notre formation professionnelles, nous sommes tenus d'être constamment en train de nous interroger et d'exiger la vérification de tous les concepts et affirmations. En cela, nous avons échoué. "


Note du Webmaster : Pour ceux et celles qui connaissent Guylaine Lanctôt, son deuxième livre, " Le procès de la Mafia médicale ", a réussi à faire dévoiler par le Collège des Médecins Canadien, les mêmes critiques du système qu’elle a dénoncé par " La Mafia Médicale ". Les critiques contenus dans cet article dévoilent également la manque de rigueur des hypothèses devenues dogmes religieux dans le $ida.


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