INTERVIEW DE LUC MONTAGNIER

Luc Montagnier a-t-il découvert le VIH ?

par Djamel Tahi
Continuum, hiver 1997

 

Ce qui suit est le texte retraduit de l'anglais en français d'une interview vidéo effectuée à l'Institut Pasteur en juillet 1997. Les numéros figurant à la fin des réponses de Luc Montagnier renvoient à l'analyse critique qu'en ont faite Eleni Papadopulos-Eleopulos et son équipe (réponse de Papadopulos-Eleopulos et al.)

Djamel Tahi : En Australie, un groupe de scientifiques soutient que jusqu'à ce jour personne n'a isolé le virus du SIDA, le VIH. Pour eux, les règles de l'isolement des rétrovirus n'ont pas été respectées pour le VIH. Ces règles sont les suivantes : culture, purification par ultracentrifugation, photographies au microscope électronique de ce qui se retrouve à la densité caractéristique des rétrovirus, identification des particules observées, preuve du caractère infectieux de ces particules.

Luc Montagnier : Non, ce n'est pas cela, isoler. Nous avons isolé car nous avons transmis le virus, nous en avons réalisé une culture. Par exemple, Gallo a dit : "Ils n'ont pas isolé le virus… et nous (Gallo et son équipe) nous l'avons fait apparaître en abondance dans une lignée de cellules immortelles". Mais avant de le faire apparaître dans une lignée de cellules immortelles, nous l'avons fait apparaître dans des cultures de lymphocytes normaux fournis par un donneur de sang. C'est ça, le principal critère. On avait quelque chose que l'on a pu transmettre en série et maintenir. Et nous avons vu qu'il s'agissait d'un rétrovirus non seulement à partir de son aspect visuel mais aussi par voie biochimique, par l'activité de transcriptase inverse qui est vraiment spécifique des rétrovirus. Nous avons également eu les réactions d'anticorps contre certaines protéines, probablement les protéines internes. Je dis "probablement" par analogie avec ce que l'on sait des autres rétrovirus, c'est évident. Mais je crois que nous avons rempli les critères permettant de dire que nous avons isolé le VIH. Complètement. (1)

DT : Permettez-moi de revenir aux règles de l'isolement des rétrovirus qui sont : culture, purification à la densité des rétrovirus, photographies au microscope électronique du matériau retrouvé à la densité des rétrovirus, caractérisation des particules, preuve du caractère infectieux des particules. Toutes ces étapes ont-elles été réalisées en ce qui concerne l'isolement du VIH. Je voudrais ajouter que, selon plusieurs publications citées par le groupe australien, la transcriptase inverse n'est pas spécifique aux rétrovirus et, en outre, que vos travaux pour détecter la transcriptase inverse n'ont pas été menés sur un matériau purifié.

LM : Je crois que nous avons publié dans la revue Science de mai 1983 un gradient qui montrait que la transcriptase inverse avait exactement la densité de 1,16. On avait donc un pic qui était de la transcriptase inverse. On avait donc rempli ce critère de purification. Mais le transmettre en série est une chose difficile parce que lorsque vous purifiez le matériau à un gradient donné, les rétrovirus sont très fragiles, si bien qu'ils se fracassent les uns contre les autres et perdent presque complètement leur caractère infectieux. Mais c'était plus difficile à l'époque que maintenant car les quantités de virus dont nous disposions étaient très faibles. Au début, nous sommes tombés sur un virus qui ne tuait pas les cellules. Le virus provenait d'un patient asymptômatique et il fut donc considéré comme un virus utilisant le corécepteur ccr5 non-pathogène et ne provoquant pas le phénomène de syncithia. C'était le premier virus BRU. On en avait très peu et on ne pouvait pas le transmettre à une lignée immortelle de cellules. Nous avons essayé pendant quelques mois mais nous n'y sommes pas arrivés. Nous y sommes facilement parvenus avec la deuxième souche mais c'est là que surgit le très mystérieux problème de la contamination de cette deuxième souche par la première. C'était le LAI. (2)

DT : Pourquoi les photographies au microscope électronique que vous avez publiées proviennent-elles d'une culture et non d'un matériau purifié ?

LM : La production de virus était si faible qu'il était impossible de voir ce qui pourrait se trouver dans un concentré de virus obtenu à un gradient. Il n'y avait pas assez de virus pour faire cela. Bien sûr, on l’a d'abord cherché, on a d'abord regardé dans les tissus et dans les biopsies. On a vu des particules mais elles n'avaient pas la morphologie typique des rétrovirus. Elles étaient très différentes. Relativement différentes. Et même en procédant à une culture, il a fallu de nombreuses heures avant de trouver les premières images. Ça a été un travail de Romain ! C'est facile de critiquer après coup ! Ce que nous n'avons pas eu, et je l'ai toujours reconnu, c'est la preuve que nous étions véritablement en présence de l'agent causal du SIDA. (3)

DT : Comment est-il possible, sans photographies au microscope électronique d'un matériau purifié, de savoir si ces particules sont virales et appartiennent à un rétrovirus, et qui plus est à un rétrovirus précis ?

LM : Eh bien, il y avait les photos du bourgeonnement. Nous avons publié des photos de bourgeonnements caractéristiques des rétrovirus. Ceci dit, en se fondant sur la seule morphologie, il n'était pas possible de dire qu'il s'agissait vraiment d'un rétrovirus.. Par exemple, un spécialiste français de microscopie électronique en matière de rétrovirus m'a pris publiquement à partie en disant :"Ce n'est pas un rétrovirus, c'est un arenavirus !" Car il existe d'autres familles de virus qui bourgeonnent, présentent des piques à leur surface, etc. (4)

DT : Pourquoi cette confusion ? Les photographies prises au microscope électronique ne montraient-elles pas clairement un rétrovirus ?

LM : À l'époque, les rétrovirus que l'on connaissait le mieux étaient ceux de type C, qui étaient très typiques. Les lentivirus étaient très mal connus et le rétrovirus que nous avions n'était pas de type C. Je l'ai moi-même reconnu en regardant, à la bibliothèque, des photographies du virus de l'anémie du cheval, et plus tard du virus visna. Mais je le répète, il n'y avait pas que la morphologie et le bourgeonnement, il y avait la transcriptase inverse… C'est l'assemblage de ces propriétés qui m'a fait dire qu'il s'agissait d'un rétrovirus. (5)

DT : À propos de la transcriptase inverse, elle est détectée dans la culture. Puis il y a purification et on trouve des particules rétrovirales. Mais à cette densité il y a une foule d'autres éléments, parmi lesquels ceux que l'on appelle "virus-like" (particules ressemblant à des virus).

LM : C'est exact, c'est exact. Si vous voulez, ce n'est pas une seule propriété mais un assemblage de propriétés qui nous a fait dire qu'il s'agissait d'un rétrovirus de la famille des lentivirus. Prise séparément, aucune de ces propriétés n'est vraiment spécifique. C'est leur assemblage Nous avions donc : la densité, la transcriptase inverse, les photographies du bourgeonnement et l'analogie avec le virus visna. Voila les quatre caractéristiques. (6)

DT : Mais comment tous ces éléments permettent-t-ils de faire la preuve qu'il s'agit d'un nouveau rétrovirus ? Certains de ces éléments pourraient appartenir à d'autres choses, à des particules "virus like" par exemple…

LM : Oui, et nous avons en plus des rétrovirus endogènes qui produisent parfois des particules, mais des particules d'origine endogène qui n'ont donc aucun rôle pathologique, en tout cas pas dans le SIDA. (7)

DT : Mais alors, comment faire la différence ?

LM : Parce que nous avons pu transmettre le virus. Nous avons transmis l'activité de transcriptase inverse à de nouveaux lymphocytes. Nous avons eu un pic de réplication. On suivait la trace du virus. C'est l'assemblage des propriétés qui nous a fait dire qu'il s'agissait d'un rétrovirus. Et pourquoi un nouveau ? La première question que nous a posée la revue Nature a été : "Ne s'agit-il pas d'une contamination en laboratoire ? C'est peut-être un rétrovirus de souris ou d'un autre animal ?" À cela nous avons pu répondre non ! Parce que nous avions montré que le patient avait des anticorps contre une protéine de son propre virus. L'assemblage est d'une logique parfaite ! Mais il est important de le prendre en tant qu'assemblage. Si vous prenez chacune des propriétés séparément, elles ne sont pas spécifiques. C'est leur assemblage qui confère la spécificité. (8)

DT : Mais à la densité des rétrovirus, avez-vous observé des particules paraissant être des rétrovirus ? Un nouveau rétrovirus ?

LM : À la densité de 1,15 - 1,16, nous avions un pic de transcriptase inverse qui est l'enzyme caractéristique des rétrovirus. (9)

DT : Mais pouvait-il s'agir d'autre chose ?

LM : Non… à mon avis, c'était très clair. Comme cela se présentait, cela ne pouvait pas être autre chose qu'un rétrovirus. Parce que l'enzyme que F. Barre-Sinoussi a caractérisée par une méthode biochimique manquait de magnésium, un peu comme le HTLV. Il fallait la matrice, le gabarit, le promoteur également, ce qui était tout à fait caractéristique de la transcriptase inverse. C'était indiscutable. À Cold Spring Harbour en septembre 1983, Gallo m'a demandé si j'étais sûr qu'il s'agissait de transcriptase inverse. Je le savais, F. Barre-Senoussi avait vérifié tout ce qu'il fallait. Il ne s'agissait pas d'une simple polymérase cellulaire, c'était une transcriptase inverse. Elle ne fonctionnait qu'avec les promoteurs de l'ARN et ça donnait de l'ADN. Ça, c'est certain. (10)

DT : Avec les autres rétrovirus que vous avez rencontrés au cours de votre carrière, avez-vous suivi le même processus et avez-vous rencontré les mêmes difficultés ?

LM : Je dirai que pour le VIH, ça a été facile. Comparé aux obstacles qu'on rencontre avec les autres… parce que le virus n'émerge pas, ou parce que l'isolement est sporadique… Vous y arrivez une fois sur cinq. Je parle des recherches actuelles sur d'autres maladies. On peut citer le virus de la sclérose en plaques du Professur Peron. Il m'a montré son travail il y a une dizaine d'années et il lui a fallu à peu près dix ans pour finalement trouver une séquence très proche d'un virus endogène. Vous voyez… c'est très difficile. Parce qu'il ne pouvait pas transmettre le virus, il ne pouvait pas le faire émerger en culture. Alors que le VIH émerge et se répand comme du chiendent. La souche LAI, par exemple, émerge comme du chiendent. C'est pour cette raison qu'elle a contaminé les autres. (11)

DT : Avec quoi avez-vous cultivé les lymphocytes de votre patient ? Avec la lignée de cellules H9 ?

LM : Non, parce que ça ne marchait pas avec les H9. Nous avons utilisé de nombreuses lignées cellulaires et la seule qui ait fonctionné, ce sont les lymphocytes Tambon. (12)

DT : Mais en utilisant des éléments de ce genre il est possible d'introduire d'autres choses susceptibles de produire la transcriptase inverse, d'autres protéines, etc…

LM : Tout à fait d'accord. C'est pourquoi, finalement, nous n'avons pas beaucoup cherché à utiliser des lignées de cellules immortelles. C'est OK pour cultiver un virus en masse, mais pas pour le caractériser. Nous savions que nous allions introduire d'autres choses. Il y a les lignées cellulaires MT découvertes par les Japonais (MT2, MT4) qui permettent de très bien répliquer le VIH et qui sont en même temps transformées par le HTLV. Vous obtenez alors un mélange de VIH et de HTLV. C'est une vraie soupe. (13)

DT : De plus, il n'est pas impossible que les patients aient pu être contaminés par d'autres agents infectieux ?

LM : Il pourrait y avoir des mycoplasmes… Il pourrait y avoir une foule de choses. Mais heureusement nous avions eu l'expérience négative avec les virus associés aux cancers, et ça nous a aidés car nous avions rencontré tous ces problèmes-là. Par exemple, un jour, F. Barre-Senoussi m'a donné un joli pic de transcriptase inverse à une densité légèrement supérieure (1,19). J'ai vérifié ! C'était un mycoplasme, pas un rétrovirus. (14)

DT : Avec le matériau purifié à la densité des rétrovirus, comment est-il possible de faire la différence entre ce qui est viral et ce qui ne l'est pas ? Parce que, à cette densité, il y a un tas d'autres choses, y compris des particules "virus like", des fragments cellulaires…

LM : Oui, et c'est la raison pour laquelle c'est plus facile avec une culture de cellules car on voit les phases de la production du virus. Vous avez le bourgeonnement. Charles Dauget, qui est un spécialiste de microscopie électronique, regardait plutôt les cellules. Bien sûr, il a aussi regardé le plasma, le concentré, etc., mais il n'y a rien vu d'important. Parce que si vous faites un concentré, il est nécessaire de réaliser des coupes fines (pour être en mesure de voir un virus au microscope électronique). Et pour faire une coupe fine, il est nécessaire de disposer d'un concentré qui soit au moins de la taille d'une tête d'épingle et il faut donc une énorme quantité de virus. En revanche, il est très facile de faire une coupe fine de cellule et c'est dans ces coupes de cellules que Claude Dauget a trouvé le rétrovirus, à différents stades de bourgeonnement. (15)

DT : Quand on regarde les photographies au microscope électronique qui ont été publiées, pour vous en tant que rétrovirologue, est-il clair qu'il s'agit d'un rétrovirus, d'un nouveau rétrovirus ?

LM : Non, à ce niveau-là on ne peut pas dire. Sur les premières photographies de bourgeonnement, ça pourrait être un virus de type C. On ne peut pas faire la distinction. (16)

DT : Pourrait-il s'agir de quelque chose d'autre qu'un rétrovirus ?

LM : Non… Ou plutôt, après tout, si… Ça pourrait être un autre virus en cours de bourgeonnement. Mais il y a un… Nous avons un atlas. Quand on est un peu habitué, on sait distinguer ce qui est un rétrovirus de ce qui n'en est pas un. On peut faire la distinction en se fondant sur la morphologie mais il faut une certaine habitude. (17)

DT : Pourquoi ne pas avoir purifié ?

LM : Je le répète, nous n'avons pas purifié. Nous avons purifié pour caractériser la densité de la transcriptase inverse, qui était nettement celle d'un rétrovirus.Mais nous ne sommes pas arrivés à avoir le pic… ou ça n'a pas marché… parce que si vous purifiez vous endommagez. Pour les particules infectieuses, il vaut donc mieux ne pas trop les tripoter. Vous prenez donc simplement le surnageant d'une culture de lymphocytes qui a produit le virus et vous en mettez une petite quantité dans une autre culture de lymphocytes, et ainsi de suite. Vous transmettez le rétrovirus en série, vous obtenez toujours les mêmes caractéristiques et vous augmentez la production à chaque fois que vous faites cette transmission. (18)

DT : Donc, l'étape de purification n'est pas nécessaire ?

LM : Non, non, elle n'est pas nécessaire. Ce qui est essentiel, c'est de transmettre le virus. Le problème que Peron a eu avec le virus de la sclérose en plaques, c'est qu'il n'a pas pu transmettre le virus d'une culture à une autre. C'est ça le problème. Il y est arrivé un tout petit peu, mais pas assez pour le caractériser. Et de nos jours, caractériser signifie surtout le faire au niveau moléculaire. Par conséquent, pour cela, vous prenez un ADN, vous le clônez, vous l'agrandissez, vous le séquencez, etc… Comme ça vous avez l'ADN, la séquence de l'ADN qui vous dit si c'est vraiment un rétrovirus. On connaît bien la structure des rétrovirus, tous les rétrovirus ont un génome semblable comportant tel et tel gène caractéristique. (19)

DT : Donc, pour isoler un rétrovirus, le stade de la purification n'est pas obligatoire ? On peut isoler un rétrovirus sans le purifier ?

LM : Oui… on n'est pas obligé de transmettre un matériau pur. Ce serait mieux mais on a le problème de l'endommagement du rétrovirus et de la réduction de son pouvoir infectieux. (20)

DT : Si on ne passe pas par le stade de la purification, n'y a-t-il pas un risque de confusion sur les protéines qu'on identifie et également sur la transcriptase inverse qui pourrait provenir de quelque chose d'autre ?

LM : Non… après tout, je répète que si nous avons un pic de transcriptase inverse à la densité de 1,15-1,16, il y a 999 chances sur 1000 que ce soit un rétrovirus. Mais ce pourrait être un rétrovirus d'origine différente. Je le répète, il y a des rétrovirus endogènes, des pseudo-particules qui peuvent être émises par les cellules mais, même ainsi, elles proviennent de la partie du génôme qui produit les rétrovirus. Et que l'on acquiert par voie héréditaire, et qui se trouve dans les cellules depuis fort longtemps. Mais en fin de compte je pense que pour la preuve (car les choses évoluent en même temps que la biologie moléculaire qui permet de nos jours une caractérisation plus facile), il est nécessaire d'aller très vite au clônage. Et ça a été fait très rapidement, aussi bien par Gallo que par nous. Clônez puis séquencez, et vous avez une caractérisation complète. Mais je le répète, la première caractérisation est l'appartenance à la famille des lentivirus, la densité, le bourgeonnement, etc., les propriétés biologiques, l'association avec les cellules T4. Toutes ces choses font partie de la caractérisation et c'est nous qui l'avons fait. (21)

DT : Mais il y a un moment où on doit caractériser le virus. Ce qui signifie : de quelles protéines est-il composé ?

LM : C'est ça. Et alors, l'analyse des protéines du virus demande une production massive et la purification. Il est nécessaire de le faire. Et là, je dois dire que nous y avons en partie échoué. J.C. Chermann était chargé de cela, au moins pour les protéines internes et il a eu du mal à produire le virus, ça n'a pas marché. Mais c'était l'une des voies possibles, l'autre consistant à prendre l'acide nucléique, à le clôner, etc. C'est cette seconde voie qui a marché très rapidement. La première voie n'a pas marché car le système de production que nous avions à l'époque n'était pas assez performant. On ne disposait pas d'une production de particules suffisante pour pouvoir purifier et caractériser les protéines virales. On ne pouvait pas le faire. On ne pouvait pas produire beaucoup de virus à l'époque parce que ce virus n'émergeait pas dans la lignée de cellules immortelles. On pouvait le faire avec le virus LAI, mais à l'époque nous ne le savions pas. (22)

DT : Gallo l'a fait ?

LM : Gallo ? … Je ne sais pas s'il a vraiment purifié. Je ne le crois pas. Je crois qu'il s'est lancé très rapidement dans la partie moléculaire, c'est à dire dans le clônage. Ce qu'il a fait, c'est le Western Blot. Nous avions utilisé la technique RIPA, et ce qui est donc nouveau dans ce qu'ils ont fait, c'est de montrer certaines protéines qu'on n'avait pas bien vues avec l'autre technique. C'est un autre aspect de la caractérisation du virus. Vous ne pouvez pas le purifier mais si vous connaissez quelqu'un qui a des anticorps contre les protéines du virus, vous pouvez purifier le complexe anticorps/antigène. C'est ce qu'on a fait et c'est comme ça qu'on a eu une bande visible, avec une signature radioactive, qu'on a appelée protéine 25, p25. Et Gallo en a vu d'autres. Il y avait la p25, qu'il a appelée p24, il y avait la p41 que nous avions vue… (23)

DT : À propos des anticorps, de nombreuses études ont montré que ces anticorps réagissent avec d'autres protéines ou éléments qui ne font pas partie du VIH et qu'ils ne peuvent donc pas suffire à caractériser les protéines du VIH.

LM : Non ! Parce que nous disposions de moyens de contrôle. Nous avions des gens qui n'avaient pas le SIDA et qui n'avaient pas d'anticorps contre ces protéines. Et les techniques que nous avons utilisées étaient des techniques que j'avais améliorées moi-même quelques années auparavant pour détecter le gène src. Vous voyez, le gène src a également été détecté par immunoprécipitation. C'était la p60 (protéine 60). J'étais très habile avec la technique RIPA, et mes techniciens aussi. Si on obtient une réaction spécifique, elle est spécifique. (24)

DT : Mais on sait que les malades du SIDA sont envahis par une multitude d'autres agents infectieux qui sont susceptibles de…

LM : Ah oui, mais les anticorps sont très spécifiques. Ils savent distinguer une molécule parmi un million d'autres. Il y a une très grande affinité. Quand les anticorps ont une affinité suffisante, vous récupérez quelque chose de vraiment très spécifique. Avec les anticorps monoclônaux, vous ne récupérez vraiment qu'UNE SEULE protéine. Tout cela est utilisé dans les diagnostics par détection d'antigènes. (25)

DT : Pour vous, la protéine p41 n'était pas d'origine virale et n'appartenait donc pas au VIH. Pour Gallo, c'était la protéine la plus spécifique du VIH. Pourquoi cette contradiction ?

LM : Nous avions tous deux raisonnablement raison. C'est-à-dire que dans ma technique RIPA, en effet, il y a des protéines cellulaires que l'on rencontre partout, il y a un bruit de fond non-spécifique et, parmi ces protéines, l'une se trouve en grande abondance dans les cellules, c'est l'actine. Cette protéine a un poids moléculaire de 43000kd. Donc, elle était là. Donc, j'avais raisonnablement raison mais, d'autre part, ce que Gallo a vu était le gp41 du VIH parce qu'il utilisait le Western Blot. Et ça, je l'ai reconnu. (26)

DT : Pour vous la protéine p24 était la protéine la plus spécifique du VIH, et pas du tout pour Gallo. Grâce à d'autres études, on sait que les anticorps dirigés contre p24 se retrouvent souvent chez des patients qui n'ont pas été infectés par le VIH, et même chez certains animaux. En fait, aujourd'hui, une réaction d'anticorps avec p24 est considérée comme non spécifique.

LM : Ce n'est pas suffisant pour diagnostiquer une infection par le VIH. (27)

DT : Aucune protéine n'est suffisante ?

LM : De toute façon, aucune protéine n'est suffisante. Mais à l'époque, le problème ne se présentait pas comme ça. Le problème était de savoir s'il s'agissait d'un HTLV ou non. Le seul rétrovirus humain connu était le HTLV. Nous avons clairement montré que ce n'était pas un HTLV et que les anticorps monoclônaux de Gallo contre la p24 du HTLV ne reconnaissait pas la p25 du VIH. (28)

DT : À la densité des rétrovirus (1,16), il y a un grand nombre de particules mais seulement 20% d'entre elles appartiennent au VIH. Pourquoi 80% de protéines non virales alors que les autres le sont ? Comment peut-on les distinguer ?

LM : Il y a deux explications. D'une part, à cette densité, vous avez ce qu'on appelle des microvésicules d'origine cellulaire, qui ont à peu près la même taille que le virus, et le virus lui-même, en bourgeonnant, apporte des protéines cellulaires. Donc, effectivement, ces protéines ne sont pas virales, elles sont d'origine cellulaire. Alors, comment faire la différence ? Franchement, avec cette technique, on ne peut pas la faire avec précision. Ce que nous pouvons faire, c'est purifier au maximum le virus avec des gradients successifs et vous tombez toujours sur les mêmes protéines. (29)

DT : Les autres disparaissent ?

LM : Disons que les autres diminuent un petit peu. Vous éliminez les microvésicules mais, à chaque fois, vous perdez beaucoup de virus et il en faut donc une grande quantité au départ pour en avoir un peu quand vous arrivez au bout. Et, là encore, c'est l'analyse moléculaire, c'est la séquence de ces protéines qui va vous permettre de dire si elles sont d'origine virale ou non. C'est par là que nous avons commencé avec la p25 mais ça a raté… et l'autre technique consiste à faire le clônage, comme cela vous avez l'ADN et à partir de l'ADN vous obtenez les protéines. Vous établissez la séquence des protéines et leur taille, et vous retombez sur ce que vous avez déjà observé avec l'immunoprécipitation et l'électrophorèse du gel. Et on sait par analogie avec la taille des protéines des autres rétrovirus, on peut déterminer avec une bonne précision ce que sont ces protéines. Ainsi vous avez la p25 qui était proche de la p24 du HTLV, vous avez la p18… et en fin de compte vous avez les autres. D'autre part, celle qui était très différente était la très grosse protéine p120. (30)

DT : Aujourd'hui, les problèmes de production massive de virus, de purification, de photographies au microscope électronique du matériau à la densité 1,16 sont-ils résolus ?

LM : Oui, bien sûr. (31)

DT : Existe-t-il des photographies au microscope électronique du VIH obtenu après purification ?

LM : Oui, bien sûr. (32)

DT : Ont-elles été publiées ?

LM : Je ne pourrais pas vous le dire… On en a quelque part… mais ça n'a pas d'intérêt, pas le moindre intérêt. (33)

DT : Aujourd'hui, avec la production massive du virus, est-il possible de voir au microscope électronique un grand nombre de virus purifiés ?

LM : Oui, oui. Absolument. On peut les voir, on voit même des bandes très nettes. (34)

DT : Donc, pour vous, le VIH existe ?

LM : Oh, c'est clair ! Je l'ai vu et je l'ai rencontré. (35)

Réponse de Papadopulos-Eleopulos et al.

Traduction de Yves de Saint Vaulr


RETOUR Á JOURNALISME RETOUR Á L'INDEX CONTACTS NOS PUBLICATIONS COMMANDES et DONATIONS