Carnet intime de mes premiers mois avec l'idée que je vais mourir."Metadame"
Je suis séropositive. Un médecin me la annoncé ce matin. Dabord, je ne lai pas crue. Jai demandé : "cest certain " ? Oui ! Certain ! Je me suis levée et dirigée vers la fenêtre en lui tournant le dos. Jai crié trois fois : NON. Et puis presque aussitôt, je suis partie. Jai serré la main du docteur avec une poigne de fer. Je ne mourrai pas comme cela dun claquement de doigt. Je ne me laisserai pas faire. Dans la salle dattente, en sortant du centre médical, une femme ma considéré dun il bizarre. Elle avait du entendre mon cri et comprendre Je pouvais lire dans son regard : séropositive. Le monde sécroulait mais je suis allée comme prévu au rendez-vous fixé la veille avec le dentiste, abasourdie, ne pouvant me résigner à lidée de me trouver moi du côté de ceux qui meurent du sida Prendre la nouvelle avec sagesse : de toute façon, ma jeunesse nallait pas durer. La force et la beauté sen vont. Dans mon cas, elles sen iront peut-être plus tôt que prévu dans ma tête dinconsciente. Je tomberai peut-être malade du sida et je dirai Adieu. Mourir : ce nest peut-être pas la mort. Ce que jai rêvé de la vie nest pas du tout la vie. En Belgique, une personne sur mille est séropositive. Se laisser tenter par un inconnu sans capotes est dangereux. Même sil se prétend sain. Le bandit ne se connaît pas. Il ne possède pas la moindre conscience des horreurs transportées par son sang. Moi-même je ne le savais pas. Jai passé un an et demi dans la plus parfaite inconscience. Martha ma envoyé un mail mannonçant quAntonio, un amant espagnol que jai connu en tout et pour tout deux nuits, était atteint. Alors jai fait le test Si je me rappelle bien, il mavait annoncé quil navait pas le sida tandis-que lidée de mettre un préservatif nous passait par la tête Aurais-je imaginé dans mes rêves dadolescente un avenir de malade ? Je devrais crier à la face de Dieu : " cest trop injuste ". Et à ma propre face : " Mais bon dieu quelle connerie, un préservatif et ma vie était saine et sauve ". Voici quelques semaines, jai rencontré Michel. Je laime. Avec lui, je voyais un nouveau départ dans lexistence. Va-t-il mabandonner en entendant la moche nouvelle ? Il y a peut-être une chance sur cent de transmission du virus. Jai chopé la malchance. Un mobile inconscient ma-t-il poussée vers une place de paria, de lépreuse des temps modernes ? Le médecin que jai rencontré, un jeune gars très sympathique et ouvert, ma remonté le moral. La science a fait dimmenses progrès et continue à en faire. Après une période de latence, les lymphocytes, essentiels dans le maintien de limmunité, commencent à diminuer dans le sang. En deçà dun certain seuil, il faut prendre des médicaments qui neutralisent le virus et produisent de nouveaux lymphocytes. La trithérapie recule peut-être léchéance dune vingtaine dannées. Après, la période sida, de maladie proprement dite, sinstalle ou ne sinstalle pas. Cest selon. Le médecin ne sest pas montré très clair à cet endroit. Le cancer a fait mourir ma tante et tous mes grands-parents, à lexception de grand-papa, décédé dune crise cardiaque tandis-quil prononçait un discours. Je me distinguerai peut-être par le sida. Cest la vie. Les sidéens paraissent des victimes mais qui échappe à la dégradation ? Certains sont détruits plus rapidement que dautres. Cest tout. Javais sans-doute déjà senti la mort en moi, quand je me réveillais le matin, épuisée Maintenant, je sais quelle se trouve dans mon sang à létat latent. Je suis triste car cest tout ce que jai pu produire. Il paraît que les séropositives peuvent avoir des enfants. Elles recourent à linsémination artificielle puis à la césarienne. Antonio a du pleurer comme moi en apprenant la nouvelle. Je ne lai pas fort aimé. Je nai même pas envie de lappeler et de partager cette douleur avec lui. Lui, cétait un poète et un gosse. Il avait écrit un article sur moi : " Par Amour dune belge ". Le virus est une opportunité de maturation. Il peut maider à acquérir une conscience plus exacte du sort humain. Comme en témoigne Marie de Hennezel dans son très beau livre, " la mort intime ", la conscience de la mort peut-être bénéfique, un tremplin pour être vraiment en vie. Un réseau de personnes très aimables et ouvertes existe autour du sida. Un homme, un bénévole, ma écoutée parler pendant au moins une heure. Des hommes mont croisée au café internet. Comme dhabitude, ils me regardent. Ils ne savent pas que je porte la mort. Je suis maintenant différente, comme du temps de la boulimie où je voyais exister les autres, et moi, jétais à part, Je pensais que ma vie commencerait pour de bon le jour de la grande minceur. Maintenant que je suis mince et que jai rencontré un homme très bien, jai le virus. Ce nest pas une raison pour essayer de me rendre la vie belle en me bourrant la gueule. Je suis dans la révolte. Le monde nest pas du tout comme je le désire. Je me tends de toutes mes forces contre la réalité, je me cabre, je me débats. Michel, mon amour, est parti en vacances en France. Il ne se doute de rien. Je lui ai parlé au téléphone. Il ne croit pas que je puisse avoir attrapé la saloperie. Vais je lui annoncer la nouvelle et foutre ses vacances en lair ? Je lai déjà plus ou moins prévenu. Je lui ai annoncé que la laboratoire a demandé une seconde prise de sang : cela, cest un mauvais signe. Il ma conseillé de ne pas mangoisser à priori. " tu ferais quoi si javais le sida, tu mabandonnerais ? " A cette question, il na pas répondu. Il a dit : " Faut positiver ! ". Je le rejoins bientôt comme prévu en vacances. Je lui annoncerai probablement la nouvelle à mon arrivée dimanche ou lundi. Jai téléphoné à Christophe, une des trois personnes que je risque davoir infestées, pour lui annoncer la nouvelle, dabord à mots voilés, prétendant que javais chopé lhépatite B Il a deviné quil sagissait du sida. Jétais froide, et quand je lai senti salarmer, je suis devenue glaciale. Il a dit : " les nouvelles sont mauvaises ". Il ne ma pas tuée. Après Christophe, jai du laisser un message sur le répondeur de Martial, mon grand ami. Nous avions fait deux ou trois fois lamour. Sans capotes. Le message lui disait de ne pas sinquiéter, quil fasse un test car jai lhépatite B. Il ma rappelée, disant que je peux lui dire la vérité, il ne va pas me manger. Il devine lui aussi quil sagit du sida. Il passe chez moi. Il a peur dêtre infesté et den avoir infesté dautres. Il imagine une ronde de sidéens. Il pleure. Il me prend dans les bras, disant " je taime ". ( Je pleure dans la salle dattente de lhôpital. Le livre que Michel ma prêté : " Une réponse Zen à la dépression " parle du laisser être. Ne pas se tendre contre douleur, tristesse et virus. Lâcher prise Je peux pleurer tout à mon aise dans les lieux publics, cest bien naturel. Linfirmière sest montrée charmante avec moi. Elle ma déclaré que les séropositifs vivent heureux et pendant longtemps. Elle a pris le temps de mécouter malgré les impératifs professionnels. Il est doux de communiquer. Quelle que soit léchéance, la solidarité me sauvera. Il y a quelque-chose de si grave dans mon sang que mes peurs coutumières sécroulent. Je me confie à des inconnus. Ne sommes nous pas frères humains ? Linfirmière ne ma-t-elle pas déclaré : " Moi aussi, jai eu une maladie " ? Merci à ceux qui mécoutent. Après la conversation avec linfirmière, je me sens tellement mieux. Dans la rue, le soleil est revenu, je marche comme dans un rêve. Tout est plus calme, plus détendu. Je profite du soleil. François, mon frère, mon ami depuis lécole secondaire, ma serrée dans les bras, pour la première fois depuis quinze ans. La nouvelle la attristé. Dans cette épreuve du passage sur la terre, nous sommes bien tous unis. Les émotions aussi sont contagieuses. ( Jai réussi sans grandes difficultés à garder la face devant papa et maman. Je ne voudrais les décevoir ni lun ni lautre et je les aime. Il sagit pour le moment de les laisser indemnes. Comme prévu, je suis partie en vacances rejoindre Michel. Nous sommes partis très tôt, en voiture, avec William qui maccompagne jusque dans les Pyrénées. La pensée de la maladie ne me quitte pas. Lespoir et des anticipations mentales de lhorreur qui mattend (peut-être) se succèdent dans ma tête. Je suis sous le choc. La condamnation mécrase. Sans-doute, tous nen meurent pas, ou pas directement. La peur est un poison. Jai soif. Je ne cesse pas de boire et je dois uriner. Auparavant, jaurais peut-être refusé de pisser derrière un buisson dans la ville. Mais maintenant que jai le virus ! Quelle importance ! William me dépose devant un petit parc. Je trouve mon coin. Jessaye de profiter des moments simples qui tissent une vie : uriner derrière un buisson en évitant de mouiller ses pieds. Javais imaginé que le sida apporte une plus grande capacité à vivre linstant présent. Mais je ne pense pas du tout ici, maintenant. Lobsession de la maladie maccapare. Katherine Mansfield parle daccueillir la douleur (" Ne résiste pas, accepte la pleinement, fais de la souffrance une part de ta vie, et non pas séparée "). Le soir, William et moi avons retrouvés des amies à Marseille. Sophie, une fille que jai rencontré en Afrique voici un an ou deux. Son père vient de mourir dun cancer. Elle accueillait une autre amie, une Suédoise du nom de Solange. Elles nous attendaient dans un café du vieux port. Moi, jétais ailleurs. Pas intégrée pour un sou dans le groupe des amies. Je ne me sentais plus vraiment de ce monde. Les pensées mempoisonnaient. Jécoutais difficilement. Sophie a peut-être regretté de mavoir invitée. Faut dire quà lépoque, au moment ou la rencontre a été décidée, je ne savais pas Mon appétit est coupé. Plus rien ne me réjouit. Les copines mont fait boire pour me dérider. Le pastis ma un peu aidée en effet à ne pas trop penser. Nous sommes allées chez Sophie. Elles sont sorties pour acheter une pizza. Je me suis retrouvée seule avec William et jen ai profité pour confier mon trop lourd secret. Quel soulagement de lui dire que jai le virus ! Il sest chargé dune partie de ma peine ; il na pas fermé lil de la nuit. Seuls dans la chambre, hors de la vue des filles, il ma prise dans les bras. Plus jamais, je ne pourrai mintégrer dans les cercles mondains. Cela mest en tout cas impossible aujourdhui. La soirée avec les copines était terriblement superficielle. Cétait parler pour ne rien dire, feindre le rire et lamusement. Un grand théâtre de vie heureuse. Je memmerdais. Mon humeur sombre les dérangeait. Je me suis excusée pour mon attitude morose, prétextant un coup de déprime
Je vais me retirer du monde. Je ny trouve plus de plaisir et je ne vois pas comment jen trouverais dans une existence de séropositive où lessentiel, lamour, est entaché du danger de mourir et dattraper les pires crasses. Il est temps de partir dans la nature et de prier. Je vais téléphoner à Michel pour lui annoncer la nouvelle et que je nattends rien de lui. Cest par désespoir que le Boudha sest assis sous larbre et quil sest mis à méditer, par désespoir quil a atteint lillumination. Sasseoir et capituler. Là se trouve une issue. ( Jai bien dormi, peut-être grâce à William qui ma entendue hier. Je peux dormir, même séropositive ! Ma douleur compte maintenant trois antidotes : la nature (et le soleil) ; la communication ; le sommeil. Le sida nest peut-être pas aussi terrible quil en a lair. Puis-je dire : " Le sida, ce nest pas la mort " ? Au cas ou Michel mabandonne, je peux trouver un amoureux séropositif. En Belgique, un garçon sur deux milles en est atteint. Jenvisage un autre type dexistence, hors du monde, contemplative. Bien-sûr quand la vie paraît si atroce (je dis " paraît " car ce nest là quune conception), lon a plus quune idée obsédante : sen libérer. Certains recourent à la spiritualité, dautres au suicide (et ses succédanés dauto-destruction tels les drogues, lalcoolisme, lamour à mort ). Beaucoup se gavent, sinoculent de lillusion du pouvoir, tels moi et le naïf imbécile qui voulait tant être le premier à la course de vélo de Marseilles. Il sest dopé. Il en est mort. Je vais beaucoup mieux. La peur a diminué. Je parviens à écouter les autres et à faire relative bonne figure. Jai joui du soleil qui me caressait la peau, de la vision de la mer, du ciel, des bateaux et des albatros. Marseille est une ville charmante. Je suis incapable de garder mon secret. Jai confié à Sophie que javais attrapé un virus par accident en Espagne. Je nai pas osé lui parler DU virus. Dommage car elle na pas compris quil sagissait du sida. Partager le secret, même à moitié, soulage. Faire bonne figure est un sport qui mépuise. Devoir plaire est si fatiguant. Est-ce que jaboutis finalement aux résultats escomptés ? Jen ai assez de chercher à séduire, assez de fuir un jugement. Michel ma appelée. Je lui ai finalement annoncé la nouvelle au téléphone, le médecin et le bénévole me lavaient déconseillé. Il a pris lévénement lon ne peut mieux. Il a dit que cétait sérieux mais que cela irait et que ce virus ne change rien entre nous ! Il ne craint pas davoir été contaminé. Après la conversation avec lui, lénergie mest revenue dun coup. Quel soulagement ! Quel bonheur dêtre gardée ! Quelle joie dêtre aimée ! Tous les maux minuscules que je perçois avec anxiété depuis que jai appris la nouvelle ont disparu dun coup. Je sens de nouveau la jeunesse, la force et la vigueur. Lespoir est rené ! Des gens se sont libérés du virus. Moi aussi, je me battrai. Nous en sommes à la phase dentraînement : augmenter ma résistance musculaire, physique et psychologique. Quelle que soit la fin, je gagnerai la guerre. Jai donné des préservatifs à William : puisse-t-il connaître bien du bonheur avec sa copine dans les Pyrénées. ( Michel continue à maimer. Il mattendait sur le quai, à larrivée du bâteau à Ajaccio. Je me suis blottie dans ses bras. Les retrouvailles étaient douces, pleines denvie de lun pour lautre malgré le virus. Il voyage avec Adélaïde, une femme dune soixantaine dannées dont le mari est décédé du cancer. Cette femme est sympathique mais leur relation me déplait. Il mavait déjà confié quils avaient couché ensemble, jadis. Il me la présentée comme son initiatrice en tantra. Continuent-ils à coucher ensemble de temps en temps (et même beaucoup, passionnément, à la folie )? Je préférerais quil soit tout à moi, tout dévoué à moi. Puis je exiger sa fidélité ? Moi qui lui ai peut-être transmis " la mort latente " ? Moi, séropositive La fidélité absolue nest-elle pas contre-nature ? Ce nest pas parce-quun homme est avec une femme quil ne regarde ni nen désire dautres. Ce serait trop beau pour être vrai. Par nature, la vie est cruelle. Le tout est davoir conscience de la douleur de lautre et dessayer dans la mesure du possible de la ménager. Michel, Adélaïde et moi avons pris le bus jusquà Bonifacio. Adélaïde occupait le siège devant nous. Michel ma cajolée pendant les deux heures de trajet, je le lui ai rendu. Il semble clair quil est avec moi, pas avec elle ! La radio a diffusé une émission sur le sida. " Il y a actuellement beaucoup despoir dans la guérison du sida, mais " Michel sest levé et il a été demandé au chauffeur de changer de chaîne. On a eu droit a de la musique traditionnelle Corse. Je portais ma jupe espagnole et le petit pull rouge quil ma offert, celui qui laisse voir mon nombril. Il ma trouvée jolie. Je me sentais plutôt bizarre vis-à-vis des gens, différente Je me voyais un peu à travers leurs yeux comme une dévergondée. Bonifacio est une ville touristique et mondaine. Jolie, mais surfaite, et trop chère. Michel et Adélaïde voyagent en voilier avec un groupe peu sympathique qui ma mal accueillie. Ils vont partir en mer pendant quinze jours, encagés dans ce minuscule bateau. Cela me rappelle lexpérience des rats en cage. Ils se multiplient dans un espace réduit. Lespace se raréfie et ils finissent pas sentretuer. Nous navons trouvé ni hôtels, ni chambres dhôtes, seulement un camping minable Michel a laissé le groupe pour passer la nuit avec moi, dans ce camping bondé. Nous avons installés ma vieille tente. On a eu une belle nuit. Jespère ne pas faire peser sur lui le poids de ce virus. Point de vue sexuel, les choses vont mieux que prévu. Bien-sûr, mes élans ne sont plus du tout ce quils étaient. Mais cétait tout de même gai. Il bandait comme un Roi. Comme disait le bénévole au téléphone, il ny a pas que la pénétration dans la vie. Michel ma parlé dun homme quil a connu, un type bizarre. Ce type en connaît un autre qui sest libéré du virus par une médecine alternative. Il me conseille de réfléchir avant dadopter la tri-thérapie qui risque de maffaiblir sans éliminer la bête. La conversation mangoisse. Je ne suis pas informée et ne dispose daucune opinion sur les différentes thérapeutiques proposées aux séropositifs. Comment minformer valablement tout en évitant un choc de la réalité ? Jopterai très probablement pour la médecine la plus traditionnelle et universitaire qui soit. A part travailler mon moral et ma résistance physique, que faire ? Dans quels mains tomber ? Le médecin de lhôpital minspire plutôt confiance. La tri-thérapie, et ses cinquante médicaments journaliers, dit-on, meffraye. Je déteste être malade. De petites égratignures sur mes jambes minquiètent. Est-ce que je cicatrise aussi rapidement quauparavant ? ( Michel est parti. Je lai accompagné jusquau bateau. Il ma serrée dans les bras. Maintenant, je suis de nouveau seule. La pensée est peut-être un des pires égarements humains, le pire des mensonges. Je vais beaucoup mieux même si la peur ma reprise pendant le trajet de Bonifacio à Sartène. Jai enfin trouvé une nature splendide qui me rassérène. La vie continuera. Je dors dans une chambre à Zonza à trente-cinq euros la nuit. Les gens sont aimables. Je me sens différente des touristes. Ils appartiennent à une autre planète où règne la beauté, où la mort et la maladie nexistent pas. Ils appartiennent au pays de léternelle jeunesse. Univers factices, façonnés pour le tourisme. Tout est là pour satisfaire les caprices. Dans de tels univers, on perd la mort de vue. Je me suis fait cadeau dune petite jupe et dun bikini de guerrière à motifs militaires. Ceci pour la guerre que jentreprends. Contre et avec le virus. Ma chambre fait face à un clocher déglise, dominant une vallée darbustes. Michel se trouve sur une île. Il ma téléphoné tout à lheure, très gentiment. Jai pensé aux malheurs du monde et je me suis trouvée chanceuse : Les bébés malnutris dAfrique Les jeunes-hommes qui devaient partir à la guerre dans les années quarante. Imaginons quils avaient une chance sur quatre den réchapper. Les morts dans lattentat du onze septembre Les palestiniens qui sautent avec leurs bombes Les prisonniers des camps de concentration Les victimes daccidents mortels Etcetera Etcetera Katherine Mansfield a dit : " La souffrance sera changée en joie " Porter ma croix tel le pénitent de la cérémonie du Catennacciu à Sartène. Alors Dieu me libérera du virus ! Jai été visiter un musée sur cette procession qui date du moyen-âge. Il y avait une splendide musique classique qui ma remplie dun sentiment tragique. ( Je suis dans la montagne. Je fais du monokini. Jai peur que des gens arrivent, me surprennent et portent sur moi une condamnation parce-que je me ballade seule et sans soutien-gorge dans la nature, quen plus, je suis bizarre. Le bruit de leau qui sécoule me tranquillise. Le soleil est fort. La nature est belle. Des lézards verts se baladent à mes côtés. Ma vie na pas plus dimportance que la leurs, ni que celle dun arbre, dune fleur, dun insecte ou dun papillon blanc. Jai un long poil noir sur le sein droit. La faim est revenue et cest un très bon signe. Je suis encore en parfaite santé même si la nouvelle ma rendue hypocondriaque. Cultiver lobservation et lattention, pas la pensée. Cest la pensée sous-tendue par langoisse et le besoin de reconnaissance qui me fait le plus souffrir. La nature menveloppe doucement. Je regarde passer les fourmis. Jentends couler leau. Le soleil bronze mes petits seins blêmes. La paix est à portée de main, ou plutôt à portée de lesprit. Martial a dit que je suis de nature optimiste et si vivante que je vivrai ! ( Jai fumé. Oh ! Rien de grave, juste un échappatoire, un bol dair. Rien de coupable, même si je me sens telle. Mon imagination semballe. Je me vois en aventurière marginale. Je me perçois de lextérieur, comme dans un film. Dominique, le chauffeur du minibus qui ma amenée à Zonza, ma invitée à boire lapéritif. Ensuite, il ma invitée au restaurant du col de Bavela. Là, trop chargée, je lui ai annoncé que jétais séropositive. Du coup, la communication est devenue beaucoup plus facile et intéressante. Il ne me condamne pas du tout. Au contraire. Il se sent sur la même longueur dondes que moi. Il me dit que séropositif, il lest peut-être aussi. Il sent quil va mourir bientôt. Je me retrouve en lui (pas de boulot fixe, des voyages, la vie au jour le jour )et dans une aventure. Nous reprenons la route vers Zonza, il moffre de quoi fumer et il me prête son installation stéréo pour écouter de la musique dans la chambre (lui sen va à Bastia). Sur la musique belle et planante, je pense évidemment et de nouveau à moi, et à la psychologue que jai été voir avant de partir, accablée par la nouvelle Je ne cesse pas de me regarder à travers les yeux de cette femme. Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle en ce royaume ? Oublier un peu, voir les choses tellement plus légèrement, tellement plus sagement. Je ne sens plus la douleur. Mes préoccupations tombent comme par miracle. Jaime faire lamour ! Pourquoi en avoir honte ? Une image de moi comme une perverse ou une dévergondée traîne toujours dans ma tête. Mon judéo-christianisme revient pour me condamner. Michel ne ma pas téléphoné. Aurais-je pu résister aux éventuelles avances de Dominique ? Je suppose que la nouvelle de ma séropositivité a du lui couper toute libido. Auparavant, jaurais peut-être couru laventure. Maintenant plus. Cela ne mintéresse plus, et pour cause La période de succès que je connais depuis à peine quelques mois semble se prolonger malgré tout. Des hommes mapprécient. Dominique ma fait une belle soirée, parce-quil se met à ma place et quil mestime. Tout arrive à temps, au moment opportun. Cest ce que je vis ici, en Corse. Mon voyage sorganise de lui-même, au gré des rencontres. (Et si je tombe dans un trou ?) ( Ici, dans ce " refuge " des cols de Bavela, les touristes grouillent comme des fourmis. On entend leurs voitures et leurs cris. Je cherchais une ferme en pleine nature. Il y a trop de monde à mon goût. Je suis seule à voyager seule. A lauberge, un macho ma invitée à boire. Il me poussait à commander le champagne. Jai demandé une eau gazeuse (ha, ha, ha). Je lai bue rapidement et je suis partie sans demander mon reste Il voulait épater ses copains. Je ne sais plus à quelle occasion il ma comparée à un chien Une fille ma défendue, disant quil drague bien mal En plus de leau gazeuse, il a payé mon café. " merci " jai dit. Puis : CIAO ! Cest drôle, les mecs qui veulent te payer des trucs. Par ce biais, il nobtiendra rien de moi. Au vingt et unième siècle, il est encore difficile pour une femme de voyager seule. Jintrigue, jintéresse, je scandalise peut-être. Certains ne comprennent pas quune femme puisse être seule lâchée dans la nature, et sans-doute moi non plus. Je suis assise dans la forêt. Deux mouches sont en train de faire lamour. HA HA HA. Jai toujours peur de masseoir sur un scorpion. Si je navais à accomplir encore quelques petites choses, je pourrais mourir maintenant. Il faut que jannonce la nouvelle aux parents. Ils vont être déçus, eux qui prenaient ma vie professionnelle tant à cur, qui sinquiétaient pour mon avenir, moffraient leur soutien, espéraient pour moi un beau mariage ( La communication avec Michel est maintenant impossible. Je dois monter dans la montagne pour capter les appels. Mon portable se décharge très rapidement. Il ny a quune prise disponible dans lauberge. Cette nouvelle relation meffraie. Dans quelle mesure le sida et son spectre vont-ils entraver nos rapports ? Michel ne paraît pas réaliser le danger. Il ne craint pas davoir été infesté. Il dit même que ça lintéresse que jai chopé cette poisse, pour expérimenter le tantrisme. Jouissons de mon excellente santé car cela ne durera pas. Ma vie va forcément changer. Quelle miracle dêtre encore en vie. Mon corps est presque parfait. Lon peut sétonner quil soit voué demain à se dégrader. Ici, les hommes me désignent comme la " jeune-fille ". Sils savaient ! Ils ne se doutent absolument de rien. Moi à leur place, je me fuirais comme la peste. Je méviterais comme le sida. Coup de déprime. Je me demande ce que je fous ici dans ce centre touristique géant. La cigarette me donne une certaine nausée que jinterprète comme un symptôme du mal. La fatigue me pèse. Je ne sais pas où je vais maintenant. Jai peur. Ai-je cherché à maffirmer par la négative en attrapant ce virus ? Etre marquée par certains stigmates indubitables (Oui, elle a baisé ; oui elle est dévergondée ; oui elle est différente, oui sa vie sexuelle est folle). Etre reconnue comme une fille libertine par opposition à maman, la mystique. Quelle agressivité se dissimule sous ce nouveau statut de sidéenne ? Mes vacances en Corse : quelle drôle de petite escapade. Quest-ce-que jai cherché au juste ? Désespérément, lamour dun homme. Le besoin de le revoir, de lui annoncer, de savoir ce quil en était désormais de notre relation. Ai-je été satisfaite ? Nos retrouvailles ont été douces. Il est difficile pour moi de partager avec une autre (avec sa copine Adélaïde) et si je les rejoignais, je ne parviendrais quà jeter de lombre sur leur voyage. Ils se sont disputés avec les gens du voilier et ils ont quittés le groupe. Moi, je vais rentrer à Bruxelles. Je nai déjà que trop dépensé dargent. Jai envoyé un SMS à Maman, lui souhaitant le bonheur et lobtention du Nibana. Maintenant je comprends les boudhistes qui disent que la vie est souffrance. Dans la lutte contre le virus, mon équilibre affectif est essentiel, et même vital. Le fait dêtre seule dans un complexe touristique, séparée de Michel qui gambade avec sa copine initiatrice tantrique, séparée de William, dêtre seule avec la peur que maman me dédaigne et mabandonne dans son cur comme si je nen valais plus la peine, ne me réussit pas. Jai peur de revenir à Bruxelles et de connaître de nouveau lerrance professionnelle et les refus des employeurs à mes offres demploi. Je ne voudrais pas connaître de nouveau la solitude et labsurdité de maintenir un appartement pour moi toute seule. Jai plus que jamais besoin des autres, besoin dêtre acceptée par Maman telle que je suis avec mes faiblesses et avec mon virus. Plus encore que le sida, la solitude me tue. Combien ai-je dépensé dargent pour les communications mobiles ? Une folie ! ( Je me trouve dans le bateau du retour, dans les toilettes, assise sur la planche rabaissée, à laise pour déverser mon cur en écrivant dans un cahier. La bateau tangue. La porte tremble un peu. Mon cur est serré. Ce voyage avait des côtés absurdes : tant de fric dépensé ! Je prépare une déception amoureuse en envisageant la voie monastique. Jai petté les plombs tout à lheure à Ajaccio en apprenant que je ne pourrais pas rejoindre William car il ny avait plus de places sur les bateaux et pas de départ avant le soir. Javais toujours envie de pleurer. Les mouvements de gymnastique calment la mélancolie, éteignent la colère. En sortant du bureau des réservations, jai aperçu Dominique, le chauffeur du minibus, je lai pris dans les bras. Cela a été une réaction instinctive. Je me suis aussitôt détachée. Il a du avoir un mouvement de recul. Jai fui sans prendre la peine de lui expliquer quoi que ce soit. Comment ai je pu être aussi idiote de contracter le sida. A Ajaccio, jai claqué du fric en fringues. Je me sentais tellement perdue et javais envie de me renouveler. Et aussi, recommencer ma vie financière à zéro dès mon retour à Bruxelles. Ce bateau nest pas aussi luxueux que le Napoléon Bonaparte de laller. Lon y trouve pas une distraction. Tout sest fermé très tôt. Pas une possibilité de prendre un petit alcool pour soulager la douleur. Jai besoin de partager la nouvelle avec mon père et mère. Jai fui la solitude à Bruxelles, maintenant je fuis la solitude à Ajaccio, à Bavela et à Bastia. Jaurai au moins reçu de très beaux baisers de retrouvailles. Jaurai eu quelques belles conversations avec Michel, Sophie et William. Et jaurai vu du paysage. Martial nest pas séropositif. Il ma envoyé un SMS mannonçant la bonne nouvelle. Ouf ! Cest déjà cela de pris sur lennemi. Le ciel sobscurcit. Tout devient pâle comment avant la mort. Espero una sola cosa : que no me dejen. Malgré tout ce que jai fait, ce que je suis, mes côtés obscurs Quils ne mabandonnent pas. Por favor. Je ne sais pas si Michel va mappeler. La question ne paraît pas vitale. Elle lest maintenant.
Quelle force je possède soudain pour défendre ma place près de la fenêtre. Un vieux type sy était installé. Javais pourtant marqué mon territoire dun sac à dos. Je lai fait dégager. Il nétait pas méchant. Je me suis sentie un peu gênée ensuite davoir lutté pour une question si futile de places près de la fenêtre. Finalement, jai été lui parler. Il est hollandais. Il ma défendue quand un sale type sest soudain mis en tête de me séduire. Ce type avait commencé à me coller. Il était bourré. Je lai engueulé comme du pu. Je ne me croyais pas capable dune telle agressivité. Je lui ai dit dun ton glacial quil ne memmerde pas et quil sen aille. A son tour, il est devenu agressif . " Laissez la fille " lui a dit le vieil hollandais. Las mujeres viajando solas encontraran siempre y todavia este tipo de problemas ? Pude dormir. Me lleve cosas de la cantina para las ulteriores comidas del dia. Que viaje tan absurdo. Como en la novela " Un thé au Sahara ". Y la muerte y las enfermedades tan presentes a mi mente. Que puedo yo contra esas fuerzas de la naturaleza ? La fé, el pensamiento positivo, los ejercicios fisicos tienen sus limites. ( Ce matin, en arrivant à la station St-Charles à Marseille, de nouveau la colère contre le type qui mannonce le prix du voyage en TGV jusquà Bruxelles. Mes économies fondent. Et pourquoi ? Quest-ce-que je cherche ici ? Une sécurité affective ? Un baiser de Michel ? Ou seulement fuir ? Voici trois semaines, le vieil hollandais a eu un accident. Il na jamais connu de grandes douleurs mais maintenant si, après cet accident, il souffre. Les douleurs ne le quittent pas, ni ne sallègent beaucoup avec les médicaments. Sa cage thoracique est endommagée. Il tousse. Il fume comme un Turc. Cela ma fait du bien de parler avec lui. Je nétais pas seule. Je savais exactement ce quil lui fallait (PARLER). Il ma accompagnée à la gare et plus tard, dans les rues de Marseille où je dois attendre le train qui ne part quà vingt-deux heures. Maintenant, dans le vieux port de Marseilles, je les vois : les handicapés, les désespérés, les malades. Jai croisé les yeux dun homme qui poussait la chaise roulante dune vieille handicapée et cela ma rendue triste. La religion catholique ne me sera daucune utilité. Jai été à la messe avec mon top militaire. Ces rituels me paraissent morts et dénués de sens. Le curé a parlé dune malade, une étrangère sauvée par Jésus-Christ. Lacoustique était exécrable. Je nai pas fort saisi ce que la bible peut promettre. Un homme ma interpellée dans la rue. Il a demandé sil pouvait parler avec moi. " Oui " jai dit. Il ma complimentée sur ma beauté. Jai dit " merci ". Il a demandé si les gens dans mon entourage me lavaient dit suffisamment. Je ne sais plus ce que jai répondu. Il a dit que ces gens navaient rien compris, que maintenant : " je respire dans le cirage " Ce quil a voulu signifier exactement ? Quil serait mieux que les autres ? Il portait une petite chaînette avec une croix du Christ. La tristesse vient par vagues. Porque no quiero morir. Quiero vivir. Lo encuentro demasiado crual de parte de la madre tierra. Siempre esta conciencia de los ojos vecinos y del medio mas o menos hostil donde no se puede llorar. Necesito mas que todo encontrarme en un medio que me escuche, reconozca tal como soy SEROPOSITIVA. Queria la vida, queria al hombre. Estoy viviendo un especie de calvario, todo imaginario porque hasta ahora, nada exista realmente en la realidad, solo unos resultados escritos, y lo que se sabe acerca del sufrimiento de los demas enfermos. ( Enfin chez moi ! Home sweet homme ! Jécoute lopéra. Merci à Wolfgang Amadeus Mozart qui sest donné pour nous, et a conféré de la beauté à cette existence dure. Christophe ma rendu visite. Il nest pas séropositif pour le moment. Si nos calculs sont exacts, il manque environ une semaine avant datteindre les trois mois dincubation du virus. Puisse-t-il être indemne et ne pas surajouter son malheur au mien. Nous avons été boire un verre et mangé des rouleaux de printemps chinois. Il sest montré relativement sympathique (sauf quand il a déclaré quil ne mangerait plus jamais chez moi, simaginant contaminé par ma nourriture). Il ma tout payé, les verres et les rouleaux. Il a des idées irrationnelles, comme celle quune pyramide-talisman peut me protéger du sida. Un gros noir très baraqué et lair fou sest assis à côté de nous sans nous demander notre avis. Je ne suis pas certaine de lavoir entendu mappeler : " Maman ". Je laimais. Je suis un peu lui. Jai limpression de le comprendre. Les biens-portants, bien-pensants, bien-travaillants se protègent. Ils ne se croient pas de la même classe que les désespérés. Maintenant que je suis atteinte, quai-je encore à protéger ? Dans quel but protégerais-je ma petite existence condamnée, hyperlimitée et insensée ? Je suis moi aussi désespérée. Disons que mon individu na pas la moindre chance de survie. Alors à quand le grand pas ? Quand mon individu servira-t-il autre-chose quune cause perdue (lui-même)? No lo sé. Le noir ma demandé une cigarette. Dabord jai refusé (il ne men restait que deux). Puis, prise de culpabilité, je lui en ai tendue une. Les serveurs essayaient de le foutre dehors. Ils lont menacé dappeler la police. Sûr de lui avec sa baraque de muscles, il feignait de ne pas les entendre. Jai dit aux serveurs de ne pas sinquiéter. Cet homme ne me dérange pas. Mais ils ont quand-même essayé plusieurs fois. En désespoir de cause, ils ont appelés les flics. Il a pris son temps pour partir et ma donné un baiser sur la joue. Les serveurs se sont excusés auprès de Christophe pour le désagrément (Encore une attitude machiste : ils auraient pu me présenter pareillement leurs excuses). Pour ce " désagrément ", nous avons eu droit à une seconde tournée gratuite de leffes blondes.
Mon corps est beau et solide. Combien de temps encore ? Je jouis de mon image reflétée dans le miroir. Auparavant, il y avait des hauts et des bas dans ma perception de moi. Maintenant, je voudrais demeurer toujours comme je suis maintenant. Que ma force et ma jeunesse perdurent ! Que lintérêt et la considération que les hommes me portent demeure ! Si je deviens moche et malade, Michel continuera-t-il à sintéresser à moi ? Je midentifie à Mélodie Nelson des chansons de Gainsbourg (" Ses jours étaient comptés, quatorze automnes et quinze étés ) Mama mia. Piano, piano, piano, piano Le désespoir et la révolte alternent avec lapaisement. La vache sentant la mort sur le chemin de labattoir peut-elle se résigner ? Je compte sur mon instinct de survie pour me tirer de ce mauvais pas. Maman se montre adorable avec moi. Jai peur de lui annoncer la nouvelle. Merci à Dieu. Je suis encore en bonne santé. William considère que je réagis très bien. Il me conseille de ne pas refouler et de crier. Chacun donne son avis sur la question. Christophe me conseille largile, les pyramides-talismans et dire le nom de Dieu. Prononcer ce mot : " Dieu " aurait des vertus salutaires ! (ha ha) Il faudra que jaille courir. Il y a toujours un petit guide qui mindique pas à pas ce que je dois faire, comme uriner, nettoyer, écrire, téléphoner de ci de là pour un boulot
Jai nourri sur moi des images de libertine et de star sexuelle. Dans la réalité, jétais surtout seule avec des rêves envoutants de jouissance. Mon besoin de reconnaissance et dexistence est géant. Il existe sans-doute un bénéfice secondaire au virus HIV : me rendre intéressante. Que lon admire ma force, mon esprit guerrier, mon combat. Et aussi : remplir une vie vide. ( Voilà, jai annoncé la nouvelle à papa au téléphone (comme me lont déconseillé le médecin et le bénévole du service daide aux séropositifs et aux malades du sida). Il la reçue assez froidement. Il a demandé si le laboratoire avait bien fait un second test. " Oui " jai dit. Puis, dun ton fort : " Ce sont des défis qui nous sont donnés, on y arrivera ". Je mets mon orgueil à sortir victorieuse de cette guerre, même si la maladie memporte, je peux remporter une victoire par un face à face courageux. Nous avons mangé en famille, avec William, chez papa et maman. Je craignais leur jugement. Mais pas du tout. Tout sest bien passé. Ils se sont montrés gentils. Cest surtout moi qui me sens coupable et dévergondée. Ils ne me considèrent pas du tout de cette façon. Jai parlé à maman de mes craintes dans la relation avec Michel. Qui est cette femme quil ballade partout avec lui, son initiatrice en tantra ? Je naimerais pas quil aie des relations avec une autre. Mais le virus maffaiblit. Avec cette tare que jai acquise, et que je lui impose, comment oserais-je lempêcher daller voir ailleurs ? Nous avons passé une soirée agréable en famille, parlant de sida et de méditation boudhique. Je commence à tout prendre à la légère, même ma propre vie. Le seul essentiel nest-il pas de se libérer de la souffrance ? ( Jai mis mon top militaire et jai couru et fait de la gymnastique sur fond de Capoeira. Sentir ma force et ma vitalité mennivre. Les personnes âgées qui continuent à marcher ne rouillent-ils pas bien plus lentement que les autres, les las ? En se terrant chez eux, les vieux découragés commencent vite à tomber. Parvient-on à jouïr en étant séropositif ? Tout sera différent. Je nen fais pas un drame. Après tout, les relations mont beaucoup déçue jusquà présent. Jai connu de beaux instants et des relations dures, destructrices, et même mortelles puisque jai choppé le virus. Je me trouvais dans la classe réduite des gens chanceux. Je ne pensais pas pouvoir tomber de si haut, de mon piedestal illusoire. Le boudhisme a raison : la vie est souffrance. Pensons aux victimes du sida dans le tiers-monde. Un jeune cambodgien de vingt-trois ans est en train den mourir. Il na même pas assez dargent pour consulter un médecin. Il va crever bientôt. Le monde tourne mal. Cest le moins que lon puisse dire. Je bénis le ciel de nêtre pas née au temps de la peste qui a décimé un tiers de la population européenne. Au Cameroun, jai vu un lépreux. Il avait déjà perdu des bouts de membres. Je lai vu. Je nai rien fait pour lui. Même en voyant la souffrance, je ne pouvais pas croire quelle sappliquerait à moi. Considérer la vie comme un sport dangereux, acquérir de lendurance et se dépasser. Nous vivons dans une société évoluée. Merci à Dieu. Béni soit le ciel. Si jétais née dans certains pays dAfrique, ils mauraient lapidée pour être devenue vénale. Fille vénale : quel terme affreux ! Le tiers-monde est une plaie ouverte qui nous regarde, nous les chanceux, nous les planqués. Le Sud sinfiltre petit à petit au Nord. Par ce biais, puissent les forces séquilibrer. Que puis-je moi pour ce jeune cambodgien ? Beaucoup de choses, si je bouge mon cul. Maman dit quavec la méditation vipassana, la maladie peut être surmontée. Et si pas la maladie, la douleur en tant que telle, du moins la souffrance (qui est mentale). Sans le virus, aurais-je senti que je suis mortelle ? Ma vie davant en valait-elle vraiment la peine ? Quel sens pouvais-je lui donner ? Je nallais tout de même pas continuer une vie de loisirs et de travail bidon. Damour bidon aussi, superficiel, basé sur une fuite en rond. Je me rappelle du film " Samsara " ou des couples qui font lamour se transforment en squelettes avec la lumière. Sans-doute, la mort est dans la vie, au cur même de la vie. Jaimais faire lamour. Nest-ce-pas la chose la plus belle et bonne au monde ? Maintenant, je pourrais faire lamour à un autre niveau : donner ce qui me reste de vie à un intérêt qui me dépasse. Que je sois utilisée à des fins supérieures à moi. Quel intérêt supérieur ? Cest vraiment la question. Lon verra peut-être bien. Je crois parfois que le virus va mapporter la sagesse comme par miracle. De limage dune dévergondée libérée marginale que je me fabriquais de moi-même, je passe à limage de quelquun de différent des autres, avec un quelque-chose de supérieur puisque porteur dune tragédie ( A chaque complexe, un fantasme de moi-même. Complexe professionnel basé sur le constat que je ne me réalise pas. Complexe sur ma féminité. Et lidée dune amazone Reine du sexe et de laventure, une battante qui réussit. Pessimisme amoureux. Mon inconscient, mes illusions se sont jouées de moi. Comment ai-je pu être aussi inconsciente du danger ? dipe réalise quil a tué son père et violé sa mère. Il se crève les yeux. Ne pas voir. Ne pas voir. Je ne veux plus faire de mal à mes parents. Ils me voulaient heureuse. Quest-ce-que je leurs ai fait ? Nom de Dieu. Comment me suis-je traitée ? Etais je à ce point dégoûtée, à ce point déçue pour me lover sans protection dans les bras dun homme que je naimais pas du tout ? La conversation avec les parents était douloureuse aujourdhui. Ils se demandent comment je peux prendre la nouvelle si bien. Comme si quelque-part, elle me réjouissait. Les autres, mes proches, souffrent. Par ma faute. Par la faute de mon inconscient. Par mon manque dattention. Par mon aveuglement. Est-ce réparable ? Je veux que ce virus disparaisse. Je veux mintégrer dans la société. Je veux, si pas me marier, mengager affectivement, devenir sérieuse et réaliste. Papa a pleuré. Je lai pris dans les bras. Jai dit : " Je ne veux pas que tu pleures " Il men veut. Le virus a ceci de positif que lon a parlé comme on ne lavait plus fait depuis longtemps et ceci de négatif que si je meurs pour une pareille bêtise (ne pas avoir mis de capote) , je les blesserai. Parfois, jen ai marre, je voudrais linconscience la plus totale pour ne pas souffrir. Cependant, même aveuglé, lon souffre inconsciemment. Je crains maintenant les coups de cet inconscient. Peur dun accident de voiture qui mette un terme à cette merde. dipe ne croit pas quil va tuer son père et violer sa mère. Il est prévenu et pourtant il le fait. Lon me dit : " le sida ne se guérit pas encore, pensez à vous protéger ". Je pense à me protéger mais je ne le fais pas. Réparer mon erreur. Envoyer tous les jours des roses à papa. Travailler. Maman tient le coup. Je leurs ai beaucoup parlé. Avoir choppé la crasse correspondait peut-être à un besoin de reconnaissance. Dire que comme les autres, je fais lamour, alors que la solitude est mon lot quotidien. Il ny a jamais à mes côtés un homme gentil qui me prenne pour la vie. Comment peut-on devenir séropositif avec les campagnes actuelles de sur-sensibilisation au problème ? Les avis sont partagés. Maman et Papa croient quune pulsion inconsciente auto-suicidaire ou de reconnaissance ma poussée à tenter le diable. William et Martial imputent le hasard, la malchance. Madame la psychologue, je me suis de nouveau regardée dans le miroir et vraiment je suis belle. Chez vous, dans ce grenier plutôt sombre où nous nous retrouvons une fois tous les quinze jours pour parler de mes problèmes, je me donne en représentation. Je me demande quels vêtements je vais porter pour vous plaire. Ce jeu est dangereux. Un film sur le sida peut-être bien envoûtant mais dans la réalité ? Dans la réalité, moi-même et mon entourage souffrent. Jai bousillé mes chances et les capacités que javais de maccomplir. Une psychanalyse contre un affreux virus. Est-bien judicieux ? Où mieux vaut sadapter à une tri-thérapie ? Je maccomode petit à petit à ma réalité de séropositive. Je ne voulais pas cela. Je désire être aimée, considérée, intégrée dans la communauté. Comment le pourrais-je ayant commis à vingt-huit ans une telle bêtise dadolescente ? Comment apparaître devant les autres avec cette crasse ? Cest la honte. Non seulement davoir couché avec nimporte qui mais de navoir pas pris de précautions alors que lon nous rabâche les oreilles avec ces préservatifs depuis lécole primaire. Honte à moi. Honte aux parents. ( Au retour de la visite à ma psychologue, alors que jétais pleine dangoisse au début de la séance : un sentiment domnipotence et de victoire. Je roule rapidement (tout en me disant de ne pas faire daccident). La musique me stimule. Qui suis-je ? La psychologue a-t-elle voulu signifier que je suis une personne décentrée ? A-t-elle voulu dire que ma vie sexuelle, je lai rêvée ? Je lui ai raconté mes relations cybernétiques avec Momo. Elle a demandé si entre nous, cétait virtuel. Jai senti une pointe de douleur. Je lui ai rétorqué : MAIS NON, cétait bel et bien vrai ! Avec Momo, jai connu une aventure dune nuit. Puis, les circonstances de la vie, il est parti à Barcelone et moi en Angleterre. Nous avons continué à nous envoyer des messages (érotiques) sur internet. Sa proposition de minitier aux plaisirs de la " douche dorée " ma scandalisée. Je lui ai répondu par un message laconique qui lui disait " connard ". Il ma insultée de même et depuis, plus de nouvelles. Il y a toujours une part de moi qui crée un personnage et cherche à lériger, au delà de la vie, de la mort, de la maladie et de la vieillesse. ( Je naurais peut-être pas du dire à Suzanne que je suis séropositive. Sous des airs de Sainte-Nitouche compatissante, la nouvelle la satisfait. Cela lui fait une rivale de moins. Elle jouit de son sentiment de victoire. Elle ma en quelque sorte piqué Laurent. Elle jouit de le caresser devant mes yeux comme elle jouit davoir reçu la visite de Bernard, mon ex-amant. Que les dessous humains sont sales et vicieux. Dire que je porte moi aussi ces sous-vêtements la ! Dans la lutte contre le virus, se préserver des nuisances relationnelles est vital. Jai toujours senti la jouissance de Suzanne à gagner sur moi, et son besoin de me damner le pion. Je me sens mal ce soir, après la rencontre avec elle. La douleur (sa victoire) me pourrit lesprit. Aujourdhui moins que jamais, je ne peux me permettre de laisser sépandre la pourriture. ( Oh, nom de Dieu. Une faiblesse subite. Une pointe de douleur dans le dos. Des yeux cernés par je ne sais quelle fatigue obscure (je dors pourtant bien et autant que mon corps lexige). Je guette les premiers symptômes. Je porte attention aux moindres défaillances de mon corps. Est-ce préjudiciable ? Cette attitude peut-elle induire la maladie ? Ne raconte-t-on pas que ce que lesprit conçoit devient la réalité ? Mon foie est serré. Jai peur. Il ne sagit que de signes légers. Je ne crois pas devoir les prendre au sérieux. Cest seulement de lanxiété. Je nai jamais autant respecté les exigences de mon corps. Tous les jours, je fais du sport. Je cherche à le garder en excellente santé. Combien de temps durera cette jouissance dêtre en forme ? Leffort physique me drogue. Jaime sentir ma force, et mon existence. Pour ne plus penser à la mort : ne pas arrêter décrire et de faire du sport. Est-il possible de mourir sans peurs, de regarder la mort qui vient droit dans les yeux , de mourir satisfait de sa vie ? De quoi faudra-t-il que je me lave avant de mourir ? Il faudrait peut-être que je commence dès aujourdhui un grand nettoyage, une purification de je ne sais trop bien quelles pourritures mentales Ainsi, je pourrais mourir en paix. Mourir en paix : nest-ce-pas le seul programme de vie qui en vaille vraiment la peine ? A cette question, les Boudhistes tibétains répondent : OUI. Jai de la chance de navoir trépassé : Ni comme Coralie, décédée inopinément du jour au lendemain dune crise cardiaque (elle avait 56 ans). Ni comme mon voisin, décédé inopinément du jour au lendemain dune crise cardiaque une semaine après la séparation avec sa copine (il avait 33 ans ; il venait davoir un bébé). Ni comme létudiante en géographie, décédée accidentellement dune éléctrocution (elle avait 20 ans). Ni comme le chef psychiatre décédé inopinément du jour au lendemain dune crise cardiaque retrouvé mort par sa femme dans la salle-de-bain (il avait une cinquantaine dannées). Ces gens la nont pas reçu loccasion de préparer leur mort. Moi, je peux utiliser cette potentialité à des fins bénéfiques, sentir la valeur dêtre en vie, la considérer à sa juste valeur, avoir en quelque sorte plus de force. Sayadaw, le Moine Birman de Maman, dit que jai de la chance davoir reçu cette maladie. Je reçois la conscience de ma faiblesse, de mon insignifiance, de ma finitude bref, de ma condition. Partant, je peux men libérer. Je nallais tout de même pas continuer à vivre dans une bulle dillusion. La mort meffraye. Jen ai des images intolérables, le cercueil de Coralie emmené par les croques-morts, sa mère qui crie Il faudra que mes cendres soient jetées en liberté. Je ne veux pas que mon cadavre pourrisse sous la terre. Je veux la liberté du vent. Le plus beau défi du monde mest donné à vivre : avancer vers la mort en la regardant en face, dans le fond de ses orbites décharnées. Jai un peu la nausée. Elle passera comme tout le reste. Auparavant, javais très peu été confrontée à la mort. Je nai pas encore connu de maladie grave et je ne sais pas comment je réagis à la douleur physique. La science a fait bien des progrès et elle nous shoute pour quon supporte la douleur. Il faut que je garde cette image en tête : " la mort, cest la liberté du vent ". Si je men fabrique de plus belles images, irais-je vers elle avec moins dappréhension ? Aller vers elle, y avait-il autre chose à attendre de la vie ? Peut-être quune fois de lautre côté, on vit un orgasme ? ( Un homme ma draguée dans la rue. Ca fait du bien. Je lai remercié pour le compliment quil me faisait (il a dit : " je tai vue et tu mas rendu fou " !). Je lui ai répondu que je suis mariée, donc, ses tentatives sont peines perdues. Ca ma redonné espoir. Jai de nouveau senti le désir. Il est si doux de se sentir en vie ! Mon image mangoisse. De retour chez moi après le pointage et la rencontre avec cet homme dans la rue, je me suis regardée dans le miroir. Je me paraissais moins belle que le matin, trop grosse Le voisin den face se trouvait à sa fenêtre. Ma-t-il aperçue me pavaner ? No lo sé. Mais jai peur quil mait vue. Jai honte de me regarder. No sé porque. Il sagit pour moi dune activité très intime. William a appelé mon appartement : " le palais des miroirs ". Je métonne davoir encore envie de faire lamour dans létat où je me trouve. Avec un préservatif, le risque de transmission nest-il pas quasiment nul ? " Aucune contraception nest infaillible " disent les notices de nos boîtes de préservatifs, à Michel et à moi. Mais rien ne peut nous protéger de la mort. Elle est susceptible de nous prendre à nimporte quel moment, en voiture, dans le métro, dans le world trade center Je nai jamais été autant soumise aux exigences de mon corps, de sa majesté la nature. Bien-quelle ait mauvaise presse, la soumission est une belle qualité. Qui est plus fort que nous ? Cest bien le corps et sa nature. Se révolter contre lui (refuser de se nourrir, de boire, déliminer, de faire lamour, de tomber malade et de mourir) est peine perdue. Jaime quun homme me vainque et lui tendre ma gorge. Je peux imaginer que la mort sera mon ultime amant. Elle est tellement plus puissante que moi que je my soumettrai forcément (même ceux qui se suicident sont gagnés par elle). Elle sera peut-être douce avec moi. Aurais-je aimé vivre la vieillesse ? Peu de gens la vivent gaiement. Peut-être que si la mort me prend avant de vieillir, cela sera tant mieux. Je naurais connu que la force de lâge. Une terreur me pousse à maccrocher à ce qui est et va partir. Je ne sens ma puissance (ma jeunesse, ma beauté) que par instants et je voudrais la sentir toujours. Je voudrais ne plus bouger, ne plus changer. Ma santé est probablement transitoire. Puis je laccepter ? Ma vie est transitoire. Jabhorre cette sensation. Le bien-être de ce matin est évanoui. Je suis maintenant abattue. Je ne veux rien laisser passer, surtout pas ma jeunesse, surtout pas ma beauté, surtout pas le succès. Malade, laide, fragile et dégradée, maimera-t-on encore où ne serai je quun poids ? Quand elles sont trop handicapées, les bêtes quittent le troupeau et sen vont mourir seules, cest instinctif. ( Maintenant, mardi 15h18, il ny a plus rien à faire. Jai fait mon jogging de chambre quotidien, ma vaisselle, ma popotte, les vidanges. Jai écrit. Les légumes (pleins dénergie) cuisent sur le feu. Quelle vie vide ! Je suis presque arrivée au terme des devoirs (remplir les factures, aller les glisser dans la boîte aux lettres de la banque, écrire au propriétaire concernant le remboursement de linstallation du câble TV, lire les brochures de lassociation de quartier qui pourrait mengager à son service) Je nai pas envie de sortir. Je vis ici dans un univers douillet et protégé. Lobsession pour la maladie et la mort a diminué nettement. Je commence à mennuyer. Je projette de me rendre à la librairie, dacheter : " la voie zen pour surmonter la dépression " et de lenvoyer à Papa comme cadeau de réparation. Voilà. Cest tout.
Et puis maintenant, je reviens de la librairie où jai acheté deux livres : " Les pouvoirs insoupçonnés du corps " (la révélation du corps glorieux) et " la chamane blanche ". Je cherche ce qui me délivrera de la mort. Petit Michel est revenu de vacances. Il ma appelée. Il a eu des ennuis au boulot. Sa voiture a coulé une biele. Il meffraie. Tant de disputes avec tant de gens ! Il paraît marginal. Je me retrouve en lui. Il na plus rien à voir avec limage rassurante quil minspirait au début. Comme les perceptions sont mouvantes ! Il a suffi quil vienne et quil me fasse lamour pour me faire oublier toute appréhension. Javais envie de me donner corps et âme à lui. Il mémeut. Je nosais pas lavouer ! Je lai écris sur un papier que jai glissé dans la poche de son jean : " Je voudrais être ta femme " ! Lamour était bon. Je ne pensais pas que le désir reviendrait. Il mest revenu, surtout pendant la nuit. Mais je nai pas joui. Et lui non plus. Quelles émotions ! Je naurai apparemment pas de vie tranquille et douce. Nous sommes allés chez le médecin pour recevoir les résultats des tests sanguins. Il a dabord fallu attendre parmi une dizaine dautres séropositifs (ces gens sont tout à fait normaux ! Sauf un homme, les bras tatoués, lair marginal). Cette attente métait pénible. Je me sentais anxieuse, pleine de nervosité. Ils fairaient bien de sorganiser pour faire attendre les gens pendant moins longtemps. Constatant ma précarité, je suis si peu de choses, je souffre. Où se trouvent la paix, la sécurité et lamour ? Je pressens un chemin spirituel. Quy-a-til dautre à tenter ? Comment supporter autrement la condition ? Elle est parfaitement intolérable aux yeux du profane. Mais celui qui voit la maladie comme une initiation à la vérité laccepte un peu plus. Le médecin a fait retomber lespoir : Les lymphocites diminuent automatiquement au terme dune période de latence X, plus ou moins longue. Les ambiances dhôpitaux me paniquent. Il ny a rien à faire. Comme dit le médecin, cest la nature qui décide de lavancée du virus. Hier soir, je me suis exhibée devant Michel en body sexy. Je me sentais bien, même un peu gênée. Comme il dirait : " Là où y a de la gêne, y a du plaisir ". Je ne veux plus mappartenir à moi mais à lui. VRAI. Javais un peu limpression dêtre invincible, dêtre " une force de la nature " comme lavait dit le médecin à Maman lors de ma naissance prématurée. Maintenant, oh nom de Dieu, je ne comprends pas très bien que moi la forte, je puisse devenir plus fragile que les autres, moins résistante puisque disposant de moins de lymphocites. Un poids sur ma poitrine. Insupportable ! Comment puis je tomber à ce point de mon pied estal dillusions, de mon " socle de rêve " comme dirait Hubert Thiéfaine. Si la Mort décide de me prendre, quelle me prenne ! Quy puis-je ? Lon croit que lon maîtrise et que lon est responsable. Mais nom de Dieu, cest faux ! Inconscients de la vraie nature des choses, tout nous joue et lon se retrouve ballotés de ci de là au gré de vents inconnus. A lenterrement de Coralie, je ne savais pas encore que je portais la mort latente. ( Daccord je suis impuissante. Mais mes actes conservent certains pouvoirs. Je peux changer les états de mon âme. En allant à la piscine par exemple, je me sens mieux. Après quelques exercices de gymnastique, une détente agréable menvahit. Si je ne sentais cette pointe de douleur dans le dos Si je ne me savais atteinte de ce virus Ce serait parfait. (
Le Docteur Crombez dit : " Si un individu se sent dans une impasse, pris au piège ou condamné, ou sil vit dans la crainte pérpétuelle dune agression à venir, ses processus naturels de retour à la santé sen trouveront ralentis dautant. Cela parce-que le corps ne fait pas la différence entre une impasse réelle et une impasse imaginée " ( Jai téléphoné à ces messieurs les experts, hypnothérapeutes. Comme ils sy croient ! Monsieur Z, thérapeute directeur, est injoignable. Il faut toujours passer par sa secrétaire. Il est si occupé quil ne possède pas même une minute à me consacrer au téléphone. Pour le rencontrer, il faut payer soixante euros. Plus que dhypnose, jai besoin dattention et découte. Monsieur W, également hypnothérapeute renommé, sest montré vraiment snob. Il ma répondu dun ton sec que lhypnose ne peut rien contre le hiv. Seulement la trithérapie Gros bêta ! Comme si je ne le savais pas. Je lui ai répondu quévidemment, je pensais à mon moral. Javais cru que cette thérapie pouvait maider à croire en ma bonne santé. Mais maintenant que tu me réponds sur ce ton, cest trop tard connard ! Je lui ai demandé le prix dune séance et quil menvoie la liste de ses collègues (cette dernière requête expressément pour le blesser). " Pour cela, il faudra menvoyer une enveloppe et des timbres " ma-t-il répondu dun ton outrecuidant. Ces personnes sont tellement occupées et imbues delles-mêmes quelles nentendent pas ma souffrance. Finalement, jai été me faire soigner les pieds. Une pédicure sympathique et gentille me fait plus de bien quun expert prétentieux. ( Je nen reviens toujours pas de la cruauté de lexistence. Jai vu les reportages sur les animaux à la télévision. Ils narrêtent pas de se dévorer lun lautre. Lhorreur que ces scènes nous inspirent est toute conceptuelle prétendraient peut-être les boudhistes. Lanimal qui se fait bouffer devient-il rapidement chaos, partant, insensible ? Lon peut lespérer. Je nen reviens pas non plus de la cruauté chez les humains. Elle mapparaît subitement depuis que jai appris la moche nouvelle. Mourir : quelle épreuve ! Jaime Michel. Il mémotionne. Cest la première fois quune homme mémeut tant. Hier, jimaginais la mort qui va nous séparer. Je pense aux amants célèbres. Tristant et Iseult. Roméo et Juliette. Deux roses inexpugnables enlaçées lune à lautre poussent depuis leur tombe commune. Michel mapaise. Je laime et me sens plus tranquille quand il est là. Il a laissé son pull et son rasoir chez moi. Jaime cette présence masculine. Bizarre ! Lamour me surprend pour la première fois et une semaine plus tard, lon mannonce ma condamnation Il est obsédé par son travail et moi par le sida. Lobssession mempêche dêtre toujours avec lui. Les pensées me captivent. On fait lamour. Jouvre les yeux. Je le regarde. Ne pas être seule dans le plaisir. Si lon pouvait partager les fantasmes. Si lon pouvait jouir ensemble démotions complémentaires Où se trouve-t-il quand il jouit de moi ? A quoi pense-t-il ? Il dit quil ne pense plus. Cela cest le top niveau. Lamour serait si fort quil ôterait toute pensée. Cela ne mest arrivé que par instants. ( Les astres lavaient prédit ! Jai trouvé du travail ! Je vais bien gagner ma vie, du moins pendant six mois. Merci à la terre mère. Merci à la vie de mavoir donné ce virus. Grâce à lui, ma vie devient subitement intéréssante. Je suis occupée à sortir dune bulle dillusions. Mes préoccupations vaines (chercher à correspondre à une image à la mode, faire des plans davenir sans tenir compte de lavenir ultime quest la mort, angoisser, men vouloir et me déprécier car la vie ne correspond jamais à limage que je men fabrique) sont tombées. Je suis en quête spirituelle et ouverte pour des relations authentiques avec mes frères humains. Concrètement, au moment où japprends la nouvelle, je rencontre Michel et la relation est profonde. Je trouve un travail bien payé. Je parle avec ma famille. Mes relations avec William reprennent. Je fais du sport. Jécoute mon corps et ses besoins. Lespoir est rené. Jai été voir Manuel. Il a posé les mains sur mes chakras et les larmes se sont mises à couler sur mes joues. " Pourquoi tu pleures " ma demandé Manuel. Je mimagine mourant, perdant tout être cher. Il ma proposé un jeu : voir disparaître le virus. Ma raison a commencé par protester : le sida ne se guérit pas encore (pensez à vous protéger !). Imaginer quil disparaît est seulement un jeu. Jai joué. Je le voyais sous forme de bulles qui éclataient et finissaient par partir dans lurine. Je voyais une victoire, la victoire de lamour et du sens. Contact : mettadham@yahoo.fr
|